Jung

  • Qu'est-ce que l'Âme

    Qu’est-ce que l’Âme ?
    Pour Philippe Pissier, pour la dernière phrase…

    « Qu’est-ce que l’âme ? » demande Moshé Ibn Tibbon à Abraham Aboulafia dans le roman (1) que le kabbaliste Georges Lahy consacre au père de la kabbale extatique (Aboulafia donc).
    Qu’est-ce que l’âme ? donc… (2)

    La Kabbale, comme à son habitude, cherche des réponses dans une démarche d’analyse des textes sacrés. En effet, la kabbale considère que le plan de la création se trouve dans la Thorah (au sens de Bible hébraïque), et sa compréhension permet de répondre progressivement à toutes les questions. Le résultat est souvent une explication systématique et l’élaboration d’un système de pensée. Malgré l’affection infinie que j’ai pour la Kabbale, je reconnais ne pas toujours suivre cette démarche et c’est le cas aujourd’hui pour répondre à cette question sur la nature de l’âme (3).

    Au moment d’écrire mes réflexions sur ce sujet, je suis dans mon camping-car dans une jolie campagne. Un rouge-gorge familier tourne autour de moi et cherche la rencontre. Le nouvel an occupe les humains et la nature, détachée, s’exprime en beauté.

    Qu’est-ce que l’âme ?
    L’âme semble être, si je cherche la réponse dans les éléments qui m’entourent, la conscience qui m’anime. L’âme, c’est ce qui me pousse à me poser question, et ce qui me pousse à répondre à mes questions. C’est aussi l’émotion que je ressens devant la question, et devant le rouge-gorge aussi. C’est ma conscience d’exister. C’est ma vie.

    l’âme est-elle immortelle ? se demandent les kabbalistes du roman de Georges Lahy…
    Il est l’usage d’accompagner le concept d’âme par celui d’Esprit. Pour ma part, dans la tradition romantique et courtoise qui m’est chère et qui vient du Cantique des cantiques, le but ultime de l’existence semble être l’Union Mystique entre l’Âme, la bien-aimée du Cantique, et de l’Esprit, son bien-aimé. Union, ou fusion, si l’on chipote sur d’éventuels degrés dans cette rencontre. Mais mon but, dans le coin de nature qui m’accueille maintenant (je suis toujours dans mon camion, entouré de verdure, d’oiseaux, et de la lumière du soleil hivernal…), n’est pas de distinguer les degrés de l’âme ou des degrés de l’Union Mystique. Ici et maintenant, je tends plutôt vers une simplification des concepts pour ne pas casser ce sentiment d’harmonie naturelle, cette union des choses justement. Quelque peu fondu dans la nature, je vis simplement l’existence de l’âme, ou de mon âme si la question de l’appartenance de l’âme à ma personnalité se pose.

    Par ailleurs, cachée dans les fourrés, je devine encore la présence de l’Esprit, cette chose inconnue de mon âme. Inconnue parce qu’encore distincte. Inconnue et désirée.

    Si mon âme est la conscience, si cette conscience aspire à la rencontre de cet esprit, « celui qu’aime mon âme » (Cant. III, 1), on a une image limpide du jeu de la conscience et de l’inconscient dans le concept jungien. Jung défini l’inconscient comme la part d’existence non-encore découverte par la conscience. La découverte se fait, chez Jung, par étapes, ou s’aborde par différents aspects qui incluent les notions de personnalisation ou de collectivisation de la conscience. Mais peu importe ces précisions, je préfère maintenant rester dans la simplicité des concepts. Cela n’enlève rien à la joie de leur conscientisation, ce qui est finalement le but de cette union (la joie).
    Le parallèle entre l’âme et l’esprit d’une part et la conscience et l’inconscient d’autre part, est intéressante par leurs points de vues complémentaires, et leur rencontre est l’ultime expérience de l’existence. Chez les amoureux du Cantique, il semble que ce soit la fiancée (l’âme donc) qui se développe pour atteindre la maturité qui lui permettra le mariage avec son Bien-aimé (« Notre petite sœur n’a pas encore de seins, qu’arrivera-t-il le jour où l’on parlera d’elle ? » Cant. VIII, 8). Chez Jung au contraire, on comprend que cette union se produit par l’absorption de l’inconscient, sa diminution donc, dans la conscience.
    Mais peut importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse n’est-ce pas ?

    L’âme ne serait-elle qu’une étape de la prise de conscience universelle ? l’âme n’existerait donc qu’en tant qu’état intermédiaire de la Vie ? Un moment dans l’Existence ? Voilà ce que pourrait être l’âme…

    Comment prendre conscience de son âme ?, ou comment voir son âme ? Voici un beau sujet de réflexion que je pourrais développer dans ces pages. Mais je préfère vous laisser seul avec Elle, vous saurez bien trouver votre réponse à cette question passionnante…
    Ma piste, c’est que voir son âme, ce n’est pas prendre conscience de son désir d’union, ça, c’est ce qui nous pousse à chercher réponse à la question justement. Voir son âme, c’est en fait déjà vivre l’union, la fusion, avec l’esprit, l’Univers. On ne voit pas l’âme, on ressent son désir d’exister. Ce que l’on voit, c’est son union, au moins partielle, avec l’Esprit, l’Univers, la Vie. Dans ce sens, l’âme n’existe vraiment que lors de sa fusion, en même temps que sa disparition en tant que telle donc, au sein de l’Existence (4).

    Joyeuse nouvelle année 2022 à tous !

    Matthieu Frécon, dans la campagne, nouvel an 2022.

    (1) Aboulafia, la quête du kabbaliste, Georges Lahy auteur et éditeur 2019.
    (2) Cet article m’a été inspiré pendant la lecture de ce livre. J’ai dû interrompre ma lecture, écouter les oiseaux, écouter mon âme, et essayer de poser des mots sur mon ressenti… Il y a pire comme discipline !
    (3) L’école Lourianique de Palestine au XVI° siècle décrira une anatomie complexe de l’âme en 5 niveaux : Nephesh, Rouach’, Neshamah, Ch’ïah, et Yech’idah. Cette école est connue pour avoir développé des systèmes philosophiques complexes et abstraits.
    (4) la théorie que je développe ici est totalement pratique. Elle ne recherche pas la vérité et ne s’encombre pas d’explications. C’est une pure méthode qui ne se satisfait que de la seule expérience, l’Union Mystique.

  • La Kabbale est-elle un système magique ?

    La Kabbale est-elle un système magique ?

    Dans le monde de la kabbale comme de l’alchimie, il est traditionnel de donner quelques uns des codes de lectures dans le titre. Ici, le titre fait référence à deux textes qui ont été importants dans ma jeunesse et que j’ai publié sur le site www.gouttelettes-de-rosee.ch qui sont : « La Kabbale est-elle un cut-up ? » et, « Créez votre propre système magicke » écrits dans les années 80’ par un certain « Rabbi Jérémy » de nos amis et que je vous recommande.

    Car en fait, la kabbale, c’est quoi ? Je veux dire, quelle est la substance de la kabbale ?, de quoi est-elle formée ? Ce sont des questions que, dans notre impatience, l’on passe sans y penser… D’ailleurs, il y a pas mal de questions fondamentales que l’on devrait se poser quand on s’intéresse à la kabbale au lieu de simplement accepter le dogme et la méthodologie qui ne sont pas forcément intrinsèque à celle-là.
    La Kabbale est un courant de la mystique juive né au milieu du Moyen-âge en Provence, qui s’est développé dans la seconde moitié du M-Â en Espagne pour atteindre son apogée en Palestine au XVI°, dans le monde de la Renaissance. Il y a eu bien sûr des antécédents, des épicentres, et un développement ultérieur notamment dans le monde chrétien, mais l’essentiel de l’histoire de la formation de la Kabbale se passe au cours de ces 3 périodes.

    Quels sont les matériaux, les outils, utilisés par la kabbale ?
    La kabbale se base d’abord sur la Bible hébraïque. Elle fait également un large emploi du Sepher Yetzirah qui est un petit livre très synthétique écrit probablement à Babylone à la fin de l’antiquité et qui traite de divers sujets mathématiques ou cosmologiques. Enfin, la kabbale utilise énormément un système numérologique, la guématria, basé sur le système décimal avec l’utilisation du zéro (introduit en occident dans le même milieu que le Sepher Yetzirah à la fin de l’antiquité) et qui semble avoir été développé - la guématria donc - vers le milieu du M-Â en Allemagne.
    À partir de ces éléments très disparates dont la réunion est pour le moins surprenante, la kabbale va alors développer sa propre littérature qui aura au moins le mérite de suivre un développement logique qui n’apparait pas dans les éléments empruntés pour sa création.

    À ce stade, essayons de définir ce qui caractérise un système magique au sens où l’entend notre Rabbi Jérémy (dont la culture personnelle va de la tradition juive à l’aventure cybernétique en passant par la science-fiction et la recherche psychédélique - pour situer le personnage).
    RJ définit un système magique comme un édifice imaginaire dont le but est de transformer le réel par une modification de la conscience par l’imagination et qui comprend des jeux de symboles destinés à créer des connexions cérébrales dans le but de transformer notre univers mental, et donc réel. Ces jeux de symboles doivent, pour être effectifs, comprendre des symboles « lourds » (« froids ») profondément ancrés dans notre inconscient comme la bible, et des symboles légers et mobiles (« chauds ») qui galvaniseront l’enthousiasme, l’érotiseront, par leur capacité à provoquer une émotion. Ces deux types de symboles vont agir sur des zones différentes de notre cerveau pour créer des synapses, des connexions nouvelles qui transformeront notre façon de voir les choses (et donc notre environnement, le réel, dont on considère qu’il dépend de la conception que l’on en a). Ces symboles peuvent êtres très différents, et même n’avoir aucun rapports entre eux. Ce sont les connexions qu’ils créeront qui provoqueront le résultat dans notre vie.

    C’est ainsi que les kabbalistes ont inventé un système symbolique puissant en alliant des symboles lourds et profonds comme la Bible et ses symboles (l’Arbre de Vie emprunté au 3° chapitre de la Genèse par exemple, et une liste de noms trouvés dans le premier livre des Chroniques (XXIX. 11.) avec le concept gnostico-hellenistique des sephiroth du Sepher Yetzirah (écrit, je le rappelle bien des siècles après la bible hébraïque, et issue d’une culture totalement différente de celle-ci). Le mariage s’avèrera fécond et l’Arbre de Vie de notre kabbale moderne qui comprendra alors les noms et les sephiroth deviendra le symbole central de la kabbale tardive (lourianique, née en Palestine à la Renaissance).

    Autre outil indispensable au kabbaliste, la guématrie, ou art de faire des relations entre les mots dans leurs rapports numérologiques, s’applique à tous les textes utilisés, dont les plus anciens tels que la Genèse. La guématrie est développé vers le milieu du M-Â en Allemagne dans un milieu mystique antérieur aux débuts de la kabbale historique.
    On peut alors se poser la question du sens qu’il peut y avoir à interpréter la Genèse avec un système numérologique créé plus de mille ans après l’écriture du texte, système basé sur le système décimal avec utilisation du zéro (introduit en occident, je le rappelle, vers la fin de l’antiquité).
    La réponse est sans appel : Dieu avait déjà tout prévu et il a fallu aux kabbalistes du temps pour découvrir et assembler cette sagesse originelle. Il a bon dos le bon dieu…
    En fait, la cohérence du système est telle, et c’est maintenant qu’il faudrait étudier les lois des synchronicités ou la loi de Murphy, pour comprendre le mécanisme psychologique effectif mis en œuvre et l’on ne peut que s’incliner devant un édifice qui semble si solide…
    Mais l’expérience depuis notamment les travaux de Jung (pour les synchronicités) et de Crowley (pour son analyse de la magie et son encouragement méthodique à créer avec la magie) montre que les possibilités dans ce domaine sont infinies et que cet édifice (la kabbale et tous les ingrédients qui la composent) peut être modifié par une autre guématrie (voir le système d’Abellio par exemple), ou l’ajout d’autres symboles (tarot, 4 éléments, Yi-King &c…) pour former, c’est magique !, un autre système dont la cohérence n’a rien à envier à son ainé…

    Alors la kabbale, c’est quoi ?
    Pour les utilisateurs dévots (dont je suis), c’est un système symbolique dont la portée imaginaire est merveilleuse et qui a tout son sens et toute sont efficacité dans le réel. Et pour les techniciens de la magie, les cyber-punks des mondes imaginaires (dont je suis encore), c’est un moteur pour l’expérience de navigation dans un réel que nous créons et modifions en modifiant les éléments qui le compose.
    La kabbale est un merveilleux système magique avec ses symboles lourds et ses symboles chauds, avec ses croyances (symboliques), ses rituels (symboliques) dont le but est, au moins pour moi, le développement de l’âme, l’expérience de l’union mystique, avec au final l’expérience du bonheur dans l'existence.

    Je concluerais en recommandant aux kabbalistes de s’attacher à bien connaître les éléments qui constituent le système imaginaire de la kabbale (l’origine des symboles), de bien re-contextualiser ses éléments, pour mieux les disposer dans le cerveau, mieux les utiliser dans les jeux de symboles, pour mieux se les approprier et les rendre plus effectifs dans la quête du bonheur et de l’éveil.

    Matthieu Frécon, Sarreyer 30 avril 2021.