médecine alchimique

  • Alchimie : entre santé et spiritualité

    Alchimie : entre santé et spiritualité
    Le rapport au corps des ascètes de l’Antiquité et l’évolution de la spiritualité vers la santé

    Aux XIX° et XX° siècles, la science est victorieuse, l’alchimie est mise en retraite et reléguée au cabinet des curiosités. La médecine est maintenant académique et l’alchimie se réfugie dans la spiritualité occultiste ou le jeu poétique du langage hermétique. À la renaissance, Paracelse (1493-1541) affirmait au contraire que « la pierre philosophale est une médecine qui sert à faire des remèdes pour soigner les maladies ». J’ai déjà discuté des rapports entre la santé et la spiritualité du point de vue de la première, c’est-à-dire en considérant la spiritualité comme étant la santé de l’âme. J’ai proposé une physiologie de la spiritualité. Considérant celle-ci comme une partie organique de l’être, c’est-à-dire une branche de la santé d’un point de vue holistique. J’aimerais maintenant aborder le point de vue inverse qui consiste à considérer la santé comme une branche de la spiritualité, tel que les mystiques de l’antiquité pouvaient le faire.

    La plus ancienne trace d’alchimie que je connaisse, tout au moins l’alchimie telle qu’elle s’est développée en Occident jusqu’à aujourd’hui, se trouve dans le livre d’Ezechiel qui est l’un des prophètes de la bible hébraïque. Ezechiel ne semble pas être, sur un plan technique, un novateur et sa pratique est donc traditionnelle : il n’est donc vraisemblablement pas le premier alchimiste de l’histoire mais son livre est important parce qu’il nous rapporte très précisément une discipline spirituelle alchimique qui est encore pratiquée de nos jours. Cette discipline et cette technique feront l’objet d’une étude approfondie ultérieure. C’est cette pratique qui m’a donné la pierre la plus importante de mon parcours d’alchimiste et qui est à la base de mon élixir « SelSol Rosa » (pour la libération des dépendances). Ezechiel s’intègre probablement dans une tradition mystique perse qui voue un culte au soleil, ce qui est bien naturel dans ces régions méridionales.

    Dans la bible hébraïque, qui est l’une des sources d’inspirations des alchimistes médiévaux, la notion de santé est intimement lié à la spiritualité. La santé du corps est l’état naturel produit par la rectitude de la vie spirituelle, voire soumis aux caprices du panthéon divin comme on peut le lire chez Job. Les grands guérisseurs (Elie, Elisée…) sont des Saints et leurs connaissances médicales se limitent à leur spiritualité. La maladie est un désordre de l’âme. On peut d’ailleurs remarquer que des novateurs dans le domaine de la santé au XX° s. tels que Rudolph Steiner ou Edward Bach le formuleront à nouveau en participant à la naissance de la médecine holistique actuelle. Ezéchiel, au contraire de Elie et de Elisée, ne guérira pas les malades : c’est un mystique pur qui ne s’intéresse qu’à la spiritualité. Il va préparer son remède, sa pierre philosophale, dont l’effet va participer à sa réalisation mystique. Ici, nous avons affaire à une voie qui considère que la vie de l’alchimiste est totalement consacrée à la réalisation mystique au point que sa santé ou celle de ses proches ne compte absolument pas parmi ses centres d’intérêts. Seule la santé de son âme compte, sa relation avec Dieu. La santé, comme le reste de son existence n'existe tout simplement pas, la réalisation spirituelle exceptée. La description biblique de la vie d’Ezechiel ou d’autres prophètes témoigne d’une discipline extrêmement exigeante que l’on accepterait pas d’un contemporain : dans la société actuelle, une personne qui dédierait ouvertement sa vie à une telle discipline serait immédiatement internée. Elle ne correspondrait pas aux standards occidentaux actuels.
    Pour résumer, l’alchimie, à ce stade, est une voie spirituelle désincarnée.

    Ces disciplines mystiques, alchimiques ou autres, solaires ou non, ne seront pas toujours aussi extrêmes et il y aura aussi des saints-guérisseurs plus proche de leurs frères humains qui seront plus modérés et rapprocheront ces pratiques de l’intérêt pour la santé du corps (Elie, Elisée, et Jésus pour la tradition biblique). Plus tard, au début du Moyen-âge, les alchimistes arabes développeront des pratiques consacrées à la santé au sens moderne du terme en y ajoutant la connaissance classique de la médecine, ainsi que celle des plantes médicinales, des techniques de distillation &c… Quelques mille ans plus tard, Paracelse deviendra le plus célèbre représentant de cette médecine alchimique.

    À partir de Paracelse, on peut considérer que la spiritualité, la santé de l’âme, s’obtient par le rétablissement de la santé profonde du corps. C’est l’axe de mon travail d’alchimiste paracelsien quand je crée des élixirs. C’est aussi la méthode de toute les médecines holistiques actuelles. À partir d’Elie, Elisée, et Ezechiel au contraire, on peut ignorer la santé physique qui n’est, qu’elle soit bonne ou mauvaise, finalement qu’un épiphénomène de sa destinée spirituelle qui ne doit jamais nous éloigner de la discipline religieuse.
    Je dois préciser que Paracelse ne fait lui-même pas le lien entre la santé et la spiritualité : c'est un médecin-alchimiste d’une part, et un homme pieux par ailleurs : les deux domaines sont parallèles mais non techniquement liés. C’est moi qui développe ce rapport entre la la santé et la spiritualité avec la notion paracelsienne de « Vertu » que j’explique plus bas.

    Cette spiritualité des ascètes antiques, mystique plus que tout, peut-elle être utile au spagyriste du XXI° s. ?
    Il est évident qu’une discipline spirituelle qui prend la totalité de la place dans l’existence de l’alchimiste n’est pas a priori facilement compatible avec la pratique de la médecine, amateure ou professionnelle, qui semble mondaine en comparaison. Mais Paracelse nous apprend que la spagyrie est une science basée sur 4 piliers et que l’un de ces piliers est la « Vertu » (les trois autres étants Alchimie, Philosophie, et Astronomie). Paracelse définit la Vertu comme étant « la relation avec Dieu ». J’ai déjà proposé ailleurs des pistes pour l’étude de cette Vertu paracelsienne par l’étude de la physiologie (développement du mode parasympathique, renforcement du nerf vague et de l’électro-magnétisme du cœur, remise en route des liquides céphalo-rachidiens et lymphatiques et des mouvement respiratoires primaires &c…) par l’utilisation d’élixirs alchimiques. Mais il est admis que la vertu au sens commun du terme, c’est-à-dire la discipline morale, reste la base de l’hygiène spirituel, et donc de la santé du corps. La Vertu spagyrique paracelsienne est donc la partie « spirituelle » de l’art de guérir, ici au service de la santé physique, même si pourtant à sa source il existe des disciplines extrêmement exigeantes qui n’ont d’autres buts que la réalisation de l’âme, fut-ce au détriment de son véhicule physique.
    Connaître et pratiquer un minimum ces disciplines dans leur sens originel permet de redonner une certaine perspective sur le sens de la vie et de rappeler les exigences d’une discipline spirituelle qu’une vie dédiée au bien-être fait parfois oublier.

    En conclusion, je dirais que les médecins-alchimistes, les spagyristes modernes, abordent la spiritualité par l’amélioration de la santé à un niveau profond. C’est une voie pratique et fonctionnelle, alors que les mystiques de l’antiquité, qu’ils fussent guérisseurs ou non, ignoraient la santé en tant que telle. Pour eux, seule la réalisation spirituelle comptait et la santé retrouvée pouvait éventuellement intervenir. La santé étant alors considérée comme un effet secondaire de cette réalisation.
    Deux façons qui ne sont pas forcément compatibles, pas toujours complémentaires, mais qui ont l’avantage d’offrir deux points de vue radicalement différents qui permettent à l’alchimiste moderne de mieux se positionner. Personnellement, j’ai développé chacune de ses disciplines indépendamment l’une de l’autre à différents moment de mon existence, et l’une a toujours nourri l’autre.

    Il est remarquable que l’alchimie méditerranéenne antique ignore la santé ou au mieux la considère comme un épiphénomène de la spiritualité alors qu’avec le développement de la médecine, l’alchimie devient petit-à-petit une médecine du corps qui finalement intègrera la spiritualité comme étant un état naturel, physiologique, idéal.
    Cette évolution est significative de la conception biblique d’un dieu qui est au départ extérieur à l’homme et à la nature - c’est le concept d’élection divine, pour évoluer vers le concept d’éveil qui intègre la divinité dans les rapports naturels de l'homme et de la nature.
    L’expérience notamment permet de comprendre les rapports naturels entre les deux façons d’être en lien avec « Dieu ».


    Matthieu Frécon, Sarreyer, Octobre 2022

  • A l'occasion de la mort de Patrick Rivière

    À l’occasion de la mort de Patrick Rivière Nature morte aux tulipes illets et livres

    L’annonce de la mort d’un homme est toujours un moment d’arrêt dans la vie qui nous porte à réfléchir sur le sens de celle-ci. La mort d’un alchimiste amène évidemment une réflexion particulière puisque l’alchimie est connue pour promettre, au propre ou au figuré, l’éternité ou au moins une longue, très longue vie (Artéphius : 1000 ans…).
    Il est évident que l’on ne va pas juger la qualité de l’alchimiste sur le nombre de ses années ou sur sa santé, la réussite, même à ce niveau est une chose mondaine qui n’a pas de valeur dans le monde de la spiritualité. Les grands guides ne sont d’ailleurs pas toujours de bons exemples, ainsi Paracelse meurt à 48 ans.
    Mais la mort d’un alchimiste est tout de même un rappel sur cet art qui a fait plus de catastrophes que de réussites. Oui, l’alchimie compte un très grand nombre d’échecs par empoisonnements (empoisonnements aux métaux lourds, empoisonnement des reins, maladie de Kreuzfeld-Jacob…), ruines, dépressions suicidaires &c… et la pierre tombale est parfois le lieu privilégié pour méditer sur les promesses de la pierre philosophale…
    À ce stade, je dois sans doute préciser que je n’ai pas connu Patrick Rivière et que cet article n’est pas un hommage ni un jugement sur son existence d’alchimiste, mais sa mort est l’occasion d’une réflexion d’ordre général.

    Vanite au cra ne et pot de the riac se bastien stoskopff

    Il est certain que certaines pierres sont extrêmement puissantes sur le plan de la régénération physique, avec des effets psychologiques en conséquence, et que les transformations (purification, régénération, alignement sur un mode de fonctionnement organique naturel…) peuvent être extrêmement douloureuses (sur le plan physique, Paracelse en parle quand il administre La Pierre à un malade), et parfois fatales.
    Examinons un peu le problème.

    D’abord, on ne peut que déplorer que l’essentiel de la littérature alchimique, s’il arrive qu’elle soit le travail d’un auteur compétent - et c’est plus rare qu’on ne le pense -, soit consacrée à la fabrication de la pierre, et néglige totalement la mise en forme galénique et la prescription (façon de la préparer pour l’absorption et dosage). Les auteurs les plus bavards résument souvent la prise de cette pierre par une dissolution dans de l’alcool (vin ou spiritueux), et, ayons confiance et jetons nous dans le vide… Si la pierre en question a quelque vertu, il est évident que sa prise doit se faire dans les règles de l’Art et que compter sur la providence est un pur suicide.

    J’ai étudié un texte portant sur la manière très complexe pour absorber la pierre des ossements obtenue par calcination solaire (pour ceux que ça intéresse, Stéphane Barillet a publié ce texte dans son « Grand Œuvre Alchimique », je cite ma source), procédé que j’ai retrouvé en détail - fabrication, prise, et même effets produits ! -, dans le livre du prophète Ezechiel). Le procédé pour prendre la pierre obtenue (qui est assez facile à faire, c’est à son propos que Fulcanelli dit qu’« une petite journée suffit ») est très complexe et extrêmement dangereux, notamment parce qu’il implique la consommation dans la totalité de ses urines pour réintégrer la liqueur évacuée dans la miction. Je crois d’ailleurs que l’auteur du texte n’a pas lui-même pu finir le travail et ce sont peut-être ses héritiers qui l’ont fait connaître. J’ai travaillé à tous les aspects de cette ascèse pour tester le process avant que de tenter l’expérience (j’avais à ce moment les conditions de vie parfaites pour sa réussite) et je suis content d’avoir trouvé une mise en forme de la pierre qui la rendait moins dangereuse. Néanmoins, l’expérience fut périlleuse et une régénération importante du corps a nécessité la présence constante de ma partenaire très compétente en matière de santé, et de mon binôme en alchimie lui-même très avancé en matière de médecine alchimique (et d’ailleurs rescapé d’une dépression suicidaire causée par son travail alchimique). Si mon corps a passé avec un succès appréciable des épreuves douloureuses, mon état psychique a été fort mis à l’épreuve et je comprend que plus d’un aient interrompus la retraite, ou se soient suicidés (c’était le cas à ce moment d’un collègue alchimiste, Patrice Partamian, ce qui m’avait quelque peu fait réfléchir…). Je sais de cette expérience que l’alchimie tient ses promesses, mais qu’un peu de méthode s’impose.

    Il y a dans le corpus Fulcanelli une phrase malheureuse, peut-être due à la plume d’un auteur mineur de cette compilation magistrale, peut-être un ajout de Canseliet lui-même (Eugène Canseliet, à qui l’on doit l’édition de cette encyclopédie alchimique). Cette phrase affirme que « l’alchimie ne s’apprend pas ». L’alchimie, dans les fantasmes délirants qu’elle provoque chez ses adeptes les plus irrationnels et les plus nombreux échapperait-elle aux règles auxquelles sont soumises toutes les autres sciences ? mêmes les plus métaphysiques ? Il est certain qu’étudier un domaine de la connaissance ne fera pas de vous un Maître mais cela vous donnera les moyens de le devenir. En alchimie, il est évident qu’apprendre la science d’Hermès avec un guide compétent et pédagogue est une chance qui vous permettra de devenir un artiste si vous le pouvez. Il est évident que si l’alchimie « ne s’apprend pas », c’est parce qu’elle manque de professeurs, et non pas parce qu’elle échappe aux lois communes… L’alchimie est un objet de rêveries, certes, mais devenir alchimiste demande méthode et rationalité.
    Cette présomption vient de cette autre expression peu réfléchie qui prétend que « l’expérience spirituelle est indicible ». Je m’oppose fermement à cette affirmation qui n’est qu’un aveu d’impuissance ou de manque de réflexion. L’expérience spirituelle se décrit avec des mots comme toute chose que l’esprit conçoit, il faut cependant qu’il existe un vocabulaire. L’expérience spirituelle est comparable à une expérience sensorielle. On sait dire « je me suis brûlé », le dire ne va pas transmettre l’expérience, mais le vocabulaire général nous permet de faire comprendre ce qui nous ait arrivé. Le frisson de l’expérience spirituelle (« frisson » ou autre chose) demande le développement d’un vocabulaire qui a été négligé et que l’on doit créer. Pour prendre un autre exemple (un peu pénible, pardonnez-moi), si un jeune enfant est victime d’un viol et qu’il ne le dit pas, c’est parce qu’il n’a pas de mots pour le dire, c’est en tous cas ce que des adultes qui sont passés par là m’ont rapportés. Il est très difficile de décrire une chose dont le cerveau n’a pas prévu de mots pour la décrire.
    Ainsi, ces manques de vocabulaire adapté à l’enseignement de l’alchimie, et à la description de l’expérience spirituelle font défaut et sont seuls responsables de l’état pitoyable de la pédagogie en alchimie, et donc du faible taux de réussite.

    Mais revenons à la vie et la mort des alchimistes…
    J’ai beaucoup progressé en alchimie depuis que j’ai mis l’aspect thérapeutique au premier plan. En effet, lorsque j’étais élève aux Philosophes de la Nature (LPN), on ne parlait que très peu des possibilités thérapeutiques de l’alchimie bien que certains membres avancés avaient occasionnellement réussi quelques guérisons spectaculaires. Il était en fait quasiment défendu de développer cet aspect pour ne pas avoir d’ennuis avec l’ordre des médecins. Du coup, les connaissances en matière de médecine alchimique étaient minimes, voire minables, et négligées. Cet état de fait augmentait encore la séparation admise communément entre le corps et l’âme. Le but de l’alchimie restait cantonné à l’ « âme ». Or l’étude de la santé (physique) montrera à quel point corps et âme sont non-seulement liés, mais ne sont peut-être que des expressions différentes de la même chose. Chez les disciples de Canseliet (qui était plus un gourou qu’un alchimiste et dont les réalisations dont il fait état sur sa propre santé sont ridicules), la médecine n’existait tout simplement pas (à part chez Patrice Partamian et quelques autres qui s’intéressaient à la spagyrie, art méprisé dans cette école).
    L’intérêt pour la médecine alchimique viendra plus tard avec le développement des médecines alternatives et de l’écologie, ainsi que grâce aux publications d’Éric Marié, merveilleux thérapeute paracelsien.

    De mon côté, je donne un cours de spagyrie dans une école de naturopathie (EPSN, Lausanne), et la fréquentation de thérapeutes m’apporte énormément dans le développement de la technique alchimique et la connaissance du corps humain. Je développe un vocabulaire qui me permet de mieux concevoir et exprimer la spiritualité par l’alchimie, et je m’évite des empoisonnements ou des dépressions dues à mes expériences.
    L’alchimie a tout à gagner à être hissée au rang des médecines holistiques naturelles traditionnelles, et la spiritualité aussi… C’est peut-être une « vanité » quelque part que de considérer l’alchimie comme un art supérieur à la vie, supérieur à la pédagogie, une sorte de connaissance surhumaine… C’est sans doute le malheur de nombreux alchimistes qui n’ont que l’isolement mental pour se réfugier au lieu de considérer cette science merveilleuse comme les autres arts libéraux, la médecine au premier plan.

    Alors Patrick Rivière, je ne t’ai pas connu, mais je te doit au moins cet article sur la vie et la santé chez les alchimistes. Bon voyage à toi !

    Matthieu Frécon, Sarreyer, 22 janvier 2021.

    Nature morte au livre et au sablier anonyme xvii s


    Nature morte aux livres, tulipes, et œillets, Luis de Melgar, 1685
    Vanité au crâne et pot de thériac, Sébastien Stoskopff, 1627
    Nature morte au livre et au sablier, anonyme XVII° s.

    extraits de La nature morte française au XVII° siècle, par Florence Thiéblot et Eric Coatelem