Philosophie alchimique

  • L’alchimie, la nature et les Saintes Écritures

    L’alchimie, la nature et les Saintes Écritures

    La nature et la bible sont les deux sources d’inspirations de l’alchimiste.
    La nature d’abord, est rappelée à l’esprit de l’alchimiste par l’injonction répétée de l’imiter (« l’alchimiste doit imiter la nature ») et l’alchimie elle-même est souvent qualifiée d’« agriculture céleste », ce qui suppose d’être proche de la nature et de travailler avec elle et avec ses cycles.
    La bible reste présente dans la vie de l’alchimiste européen par sa conception de la spiritualité qui est basée sur l’élection divine : Dieu donne la pierre à l’alchimiste comme il a donné les tables de la loi à son prophète Moïse. La bible initie aussi le cycle septenaire dans le récit de la création en 7 jours au début de la genèse. Ce symbolisme astrologique restera omniprésent dans le symbolisme alchimique. Accessoirement, le processus alchimique pourra être décrit de façon imagé avec des épisodes bibliques comme le texte sur le déluge ou le Cantique des cantiques par exemple, de la même façon que les auteurs empruntent à la mythologie grecque, mais ce n’est pas le sujet que je développe maintenant.
    Mon idée ici est d’observer les spécificités de chacune de ces deux sources d’inspirations de l’alchimiste et de voir leurs points de rencontres éventuels.

    L’observation de la nature est basée sur le travail, l’observation, et le bon sens, je dirais même, le bon sens paysan. La conception du travail basé sur des cycles septenaires ou sur la conception mystique de l’élection divine (le « don de Dieu ») ne sont pas basés sur une quelconque observation de la nature mais sur la foi dans la bible. Le texte sacré n’est certes pas une création ex-nihilo et il doit y avoir un rapport entre la bible et la réalité, c’est-à-dire la nature, mais aujourd’hui, les rapports qu’il pourrait y avoir entre eux sont invisibles et seule la foi, ou une improbable « élection divine » personnelle peut nous nous encourager à conserver la bible comme support à notre pratique alchimique. Cela ne fait pas beaucoup. D’ailleurs, une nouvelle compréhension du corpus biblique basée sur l’archéologie et sur la linguistique permet de mieux comprendre comment on est arrivé à prendre cette belle bibliothèque (la bible) pour un texte cohérent et fiable (pour rassurer ceux qui ne me connaissent pas, je dois préciser que je connais assez bien ce sujet qui me passionne et que je suis un très fidèle lecteur des deux bibles).
    Alors comment l’alchimiste va t’il organiser son travail ? Un peu de symbolisme le matin et un peu de bon sens paysan l’après-midi ? C’est plus ou moins comme cela qu’il s’en sort aujourd’hui mais c’est assez léger au niveau de la méthode et l’on pourrait mieux étudier la question pour avoir de meilleurs résultats.
    Tout d’abord, je pense que si l’on devait choisir entre l’un ou l’autre de ses deux modes de pensée, seul l’observation de la nature permettrait d’avoir des résultats en alchimie. La bible recèle des trésors initiatiques, mais à part la recette de la pierre faite par la calcination solaire des ossements fermentés donnée dans Ezéchiel, je ne connais pas grand chose de réellement pratique en alchimie dans la bible. Cela se limite à un support symbolique encourageant (en matière de laboratoire alchimique bien-sûr). L’imitation de la nature donc, est la base du travail alchimique.

    Mais alors pourquoi reste-t-on tant attachés aux textes sacrés ? D’abord, parce que la bible est la base de notre structure mentale, c’est notre « système d’exploitation » fondamental traditionnel (mais cela change maintenant). Nous sommes donc intimement rassurés si l’on peut gérer notre alchimie dans cette structure mentale. Ensuite, notre proximité avec la bible rassurera nos proches, ce qui pouvait être salvateur aux époques où la religion était abusive dans la société. Pendant ces époques dangereuses, l’alchimie se devait donc d’être chrétienne pour ne pas être païenne. Le bucher, ça marque…

    Quel est le problème avec le symbolisme biblique dans le grand-œuvre alchimique ? A priori, le seul problème que je vois pourrait venir de la conception de la spiritualité qui peut se révéler différente dans la bible et dans la nature.
    La conception biblique de l’élection divine vient à mon avis d’une série de confusions que l’on a faites sur le texte et qui sont d’origine socio-politique. En effet, les « Saintes Écritures » sont, on le sait aujourd’hui, une compilation de textes d’origines différentes développés à des périodes différentes par des personnes ou des tribus différentes. Le tout a été rassemblé et « édité » par des scribes un peu avant l’époque de Jésus. Pour la bible chrétienne, c’est moins hétérogène, mais la problématique reste plus ou moins la même. À partir ce cette compilation et pour des raisons socio-politiques, on a créé le mythe de la bible donnée par Dieu à Moïse au mont Sinaï (pour le pentateuque en tout cas). C’est à partir de là que le concept de Dieu est devenu confus (Qui est Dieu ? Où est-il ? Quel est son nom ou pourquoi tous ces noms ?). Le concept d’expérience spirituelle s’est formalisée en élection divine (devenir l’élu de Dieu) alors que l’expérience de Moïse, je l’ai développé ailleurs, est plus proche de l’éveil du Bouddha que de ce que l’on raconte au cathé ou au talmud Torah. Sachant cela, on peut comprendre que le processus initiatique alchimique est un processus naturel donc basé sur… l’observation de la nature. C’est un processus graduel qui offre à l’alchimiste un éveil à sa vrai nature, un vrai sens à sa vie. La promesse de l’alchimie sera donc une meilleure relation entre l’alchimiste et le monde (la relation microcosme/macrocosme), une amélioration sensible de la santé, une immortalité parce que l’alchimiste s’est éveillé à la Vie et que la Vie est sans fin, et, la cerise sur le gâteau, un bonheur parfait. Je ne pense pas qu’il soit question d’une quelconque promesse dans une éventuelle après-vie, tout au moins, je n’ai aucune expérience personnelle dans un tel domaine…

    Il est utile à l’alchimiste sur le chemin de bien réaliser cet aspect  de ce que l’on appelait hier l’initiation et que l’on appelle aujourd’hui l’éveil spirituel pour mieux cibler son but, pour bien adapter son travail et ses attentes.

    Pour finir, je voudrais rappeler que l’étude de la bible et/ou de la Kabbale en relation avec l’alchimie est récente et date tout au plus de l’hermétisme florentin de la renaissance (Italie XV° siècle donc). Avant, la relation entre bible et alchimie était de l’ordre de la référence culturelle, mais il n’y avait pas de lien réellement structurel entre les deux. L’alchimie était pratique et en général liée aux métiers de médecin/apothicaire/herboriste. D’ailleurs, Paracelse, le grand alchimiste de la renaissance, ne fait pas de lien entre son alchimie à lui, qu’il appelle « Spagyrie » et qui a d’abord un but médicinal, et la bible. Par contre, il consacre un livre entier à sa mystique chrétienne personnelle comme en témoigne son « Évangile d’un médecin errant » (traduction Lucien Braun) qui ne parle pas d’alchimie. Pour Paracelse, alchimie et bible ne sont pas organiquement liées. Ceci n’empêche pas que pour Paracelse comme pour la plupart des alchimistes contemporains, l’alchimie comporte une dimension mystique ou spirituelle nécessaire, hygiène naturelle de vie finalement, et que « Ora et Labora » reste une devise actuelle.

    Matthieu Frécon, Sarreyer le 31 juillet 2023

     

     

     

  • Soleil noir…

    Soleil Noir…

    Ce 25 janvier, jour anniversaire de la mort du poète aux 3 RGe rard de nerval

    Le point noir

    Quiconque a regardé le soleil fixement
    Croit voir devant ses yeux voler obstinément
    Autour de lui, dans l’air, une tache livide

    Ainsi, tout jeune et plus audacieux,
    Sur la gloire un instant j’osais fixer les yeux :
    Un point noir est resté dans mon regard avide

    Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
    Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon œil,
    Je la vois se poser aussi la tache noire !

    Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
    Oh ! c’est que l’aigle seul - malheur à nous ! malheur !
    Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

    El Desdichado

    (…) Ma seule étoile est morte et mon luth constellé
    porte le Soleil noir de la Mélancolie (…)

    Gérard de Nerval, les Chimères

    Je suis noire mais je suis belle (…)
    Je suis noire parce que le soleil m’a brûlée (…)

    Cantique des cantiques, extraits du ch. I

    Gérard de Nerval laisse supposer que l’éducation ésotérique de son oncle occultiste l’a quelque peu marqué du sceau d’une mélancolie mystique et que le culte solaire n’y est pas étranger.
    L’âme, dans le cantique est plus joyeuse, et l’aspect solaire de son Bien-aimé est manifeste.
    Faut-il regarder le soleil en face, ou user d’artifices comme Narcisse ?
    Mais enfin, « rien de neuf sous le soleil » (Ecclésiaste) ?

  • Les élixirs spagyriques, à quoi servent-ils ?

    Les élixirs spagyriques, à quoi servent-ils ?
    Une réflexion entre le corps et l’âme, entre la santé et la spiritualité

    0. Introduction
    1. Guérir
    2. Soutenir une activité mystique
    3. Amener à une expérience mystique
    Mutus liber planche xv


    L’alchimiste ou le spagyriste amateur n’a pas toujours une idée claire du but de ses recherches. En général, lorsqu’il fabrique un élixir, il a plus ou moins un but à l’esprit : la préparation à l’expérience mystique, ce qui est un concept aussi prometteur que vague ; ainsi que la santé, ce qui est une spécialité des plus nobles et toutefois un bon début.
    Je vous propose  de dégrossir un peu la question de la relation entre la santé et l’expérience mystique, et de préciser autant que possible les possibilités qu’offre l’élixir spagyrique (ou alchimique, les deux termes sont, comme toujours avec moi, interchangeables
    (1) ).

    (Mutus Liber, planche XV)

    1. Introduction
    L’histoire de l’alchimie depuis son introduction en occident avec la conquête arabe au début du moyen-âge est intimement liée à la médecine. Les bases du travail végétal et alcoolique sont posées dès le début et les alchimistes ont toujours eu au moins un pied dans la médecine.
    Il est clair aujourd’hui que l’alchimie paracelsienne à pour but l’amélioration de la santé (« l’Alchimie ne sert pas à transmuter le mercure en or mais à préparer des remèdes pour guérir les maladies » Paracelse, cité par Lucien Braun). Et le but le plus noble du travail alchimique est certainement la préparation de remèdes pour recouvrer la santé.

    Je me souviens d’une discussion avec l’un des quelques alchimistes qui ont marqué mon aventure alchimique, un alchimiste puissamment original dont l’unique préparation était une sorte de médecine universelle magistrale destinée à guérir les maladies. Je lui demandais « …et sur le plan intérieur, qu’est-ce que ça donne ? » et lui, peu disposé à perdre son temps avec des questions stupides : « Sur le plan intérieur ? et bien… pas grand chose… ». Comment est-ce qu’une préparation comme la sienne, issue d’un travail typiquement alchimique, qui était aussi puissante sur le plan de la santé, ne pouvait pas avoir d’effet sur le plan spirituel ? Et bien tout simplement peut-être que la spiritualité, c’était la santé ultime ? et que la santé parfaite répondait à toute question spirituelle. Autrement dit, un fonctionnement parfait du corps dans toutes ses fonctions se révélait être une réalisation telle que l’on décrit la réalisation « spirituelle ». Peut-être que la conscience dépend tout simplement très intimement du bon fonctionnement du corps et de l’état de ses organes ?
    Cette apparition de la chimie de la conscience a été largement répandue avec l’expérience psychédélique des années 60’. C’est à ce moment que Timothy Leary, le « Pape » du LSD (titre plutôt parlant pour notre propos d’ailleurs !) déclare que la conscience a une origine chimique et que l’on peut la modifier par la chimie. Son ami Alan Watts étudiera les similitudes entre l’expérience psychédélique et le Satori obtenu par sa pratique du bouddhisme Zen.
    Mais l’objet de cet article n’est pas de développer les relations entre l’expérience alchimique et l’expérience psychédélique, et de réfléchir à la question qui pose la Pierre des Philosophes comme étant un psychotrope. C’est un sujet sujet passionnant que je réserve pour plus tard… Au contraire, l’objet de cet article est de préciser dans quelle mesure l’élixir, la Pierre (pour rappel, « Elixir » est un terme arabe qui signifie « La Pierre ») peut faire réaliser à quel point un corps sain est une âme saine, pour paraphraser le célèbre adage « Mens sano in corpore sano ».

    Au cours des nombreuses expériences alchimiques que j’ai partagées avec mes amis, j’ai découvert qu’il était possible, et très souhaitable, de développer un vocabulaire décrivant l’expérience spirituelle, ou au moins les expériences subséquentes aux prises d’élixirs. Les thérapeutes qui ont accompagnés ces recherches, principalement ostéopathes et naturopathes, m’ont donné les mots pour décrire les effets que l’ont pensait auparavant « indicibles », puisqu’il est convenu que « l’expérience spirituelle est indicible », expression que je n’ai jamais trouvée satisfaisante, ni utile (sauf pour arnaquer le pigeon et conserver une distance prudente entre l’« initié » et son disciple). C’est comme cela que j’ai d’abord pu décrire ce sentiment d’agréable frisson autour et au-dessus de la tête, sensation si fréquente avec les élixirs puissamment énergétiques comme une remise en route du liquide céphalo-rachidien, lequel liquide est d’ailleurs mis en route par le système nerveux para-sympathique, et peut-être plus particulièrement le para-sympathique central. Ce même système para-sympathique central est repéré par des techniques de thérapies modernes proche de la spiritualité comme jouant un rôle majeur dans les états de Satoris… Sympathique non ?
    Ces pistes sont prometteuses et permettent non seulement de mieux identifier et mieux partager l’expérience « spirituelle », mais aussi de développer des techniques adaptées pour produire cette expérience.
    Alors, nostalgiques des grands mythes éternels, ne voyez pas dans ce développement rationnel et scientifique une concurrence déloyale ! Bien au contraire, l’opportunité est trop belle de remettre le corps humain au centre du processus initiatique, même si les conclusions que l’on en déduira devront être légèrement révisées puisqu’il est maintenant clair que l’extase mystique n’est plus l’appel téléphonique d’un Céleste Surhomme (assis sur un nuage pour être clair), mais peut-être simplement le ressenti d’un homme dont le fonctionnement naturel est juste… parfait !
    Bien, nous avons répondu à la question naïve à laquelle mon ami refusait de répondre « et sur le plan spirituel, ton remède, il fait quoi ? ». D’ailleurs son acuité au monde et sa relation à la nature étaient une réponse et une indication suffisantes.

    Cette introduction terminée, je vous propose de voir trois aspects de l’utilité de l’élixir alchimique/spagyrique.

    1. La santé
    Les alchimistes classiques comme les spagyristes paracelsiens ont pour une immense majorité fait profession de médecins. L’alchimie appliquée à la médecine, c’est un peu comme le sport et le bien-être du corps ou l’apéritif et la cordialité, il est difficile de les séparer…
    Les élixirs végétaux, particulièrement connus depuis Paracelse existent depuis toujours et sont en plein renouveau. Le Gui de Chêne à une excellente réputation pour lutter contre le cancer, les élixirs de Miel et de Vin sont des toniques, l’élixir d’Absinthe règle les problèmes de ventre (digestion et génitalité), la Pierre de Rose aide à se libérer des dépendances &c… Ici, la clé est l’harmonie entre les principes de l’alchimie (aspect médecine universelle, côté Mercure) et les vertus naturelles des plantes (reconnus en phytotérapie en général, aspect Soufre). L’art de l’alchimiste et sa « Vertu » (au sens Paracelsien du terme : prédestination, don naturel) feront la différence.
    Cet aspect de la médecine alchimique/spagyrique, est en plein développement actuellement, et je suis heureux d’y contribuer modestement.

    2. Soutenir une activité mystique
    C’est un aspect très intéressant de l’alchimie que de produire des élixirs qui vont stimuler les fonctions vitales au point d’aider l’alchimiste dans un travail initiatique parallèle. Par exemple, j’ai le souvenir d’avoir été plusieurs fois mis en condition pour entreprendre des ascèses méditatives très contraignantes, avec un soutien physique et psychologique important en prenant l’une ou l’autre de mes médecines alchimiques dont le but est de renforcer la vitalité (considérée du point de vue de la médecine universelle). Je m’explique. Certains élixirs alchimiques sont orientés vers un aspect de la guérison : ils règlent plutôt un problème particulier. D’autres cherchent à contenir l’énergie créatrice à un niveau plus proche de sa source : ils ne règlent pas un problème particulier, mais apportent une énergie générale, indifférenciée et puissante, dans l’être qui provoquera une sorte « d’appel » mystique soutenu, et aidera à entreprendre un travail intérieur difficile. Ces médecines amènent une sorte de lumière, d’étincelle, qui permet de démarrer une ascèse.
    Ainsi, la Pierre de Vin que je fais selon le procédé de Stéphane Barillet (donné dans « Le Grand-Œuvre Alchimique ») en est un très modeste exemple : elle aide à se réparer d’une façon générale, permet la détente, donne un sommeil réparateur en général, améliore le fonctionnement des organes, mais peut aussi soutenir une discipline mystique difficile (méditation nocturne, attention développée &c…) quand l’alchimiste la prend dans ce but.
    D’autres élixirs peuvent aussi servir dans le cadre de cérémonies rituelles (présence d’élixir dans l’eucharistie par exemple). Ici, nous pouvons même nous rapprocher de l’aspect psychotrope de l’élixir alchimique tel que je l’ai suggéré dans l’introduction.
    Les élixirs alchimiques orientés vers la Lumière, ceux qui contiennent la Lumière originelle, sont souvent adaptés à ces fins.
    Cet aspect de « diététique spirituelle » de l’alchimie est un aspect connu, mais peut-être pas assez distingué des autres buts de l’Art, pas assez conscientisé. C’est une très belle facette, relativement mineure peut-être mais non négligeable, de l’alchimie.

    3. Amener à une expérience mystique
    C’est peut-être ici que l’on touche le Grand-Œuvre dans sa magnifiscence.
    Il existe des élixirs qui ont une telle puissance solaire en eux qu’ils ont une vertu transmutatoire sur l’opérateur.
    Ce n’est pas le moment de fantasmer sur les descriptions sidérantes d’expériences mystiques célèbres. Les auteurs qui ont tentés de décrire « l’expérience mystique » ont dû, faute de vocabulaire plus adapté, employer le langage poétique ou fabuleux. Les visions décrites ne sont jamais que les meilleures façons que l’initié a trouvé pour décrire ses impressions. On peut comparer ces visions aux « lois » proposés par les grands initiés tels que Moïse ou Bouddha, qui, me semble-t-il ont vécus des expériences comparables et les ont exprimés de manières extrêmement éloignés, à cause de leurs cultures différentes. Ainsi, l’assomption d’un mystique chrétien est décrite d’une façon compatible à ce qu’il attend d’une révélation divine dans un contexte de foi monothéiste. La « Nuit Obscure » de Jean de la Croix est un merveilleux récit initiatique mais, faites le même, et vous n’aurez sans doute aucune de ses visions, votre expérience n’aura aucun point de comparaison avec son aventure, en apparence tout au moins…
    Alors revenons un peu sur les remarques précédentes sur les rapports entre un fonctionnement organique parfait et l’expérience « mystique » que l’on pourrait peut-être maintenant, entre nous, appeler expérience vitale. Mon expérience personnelle sur les ascèses opérées conjointement avec la prise répétée d’élixirs particulièrement puissants, les pierres obtenues par calcination solaire par exemple (dont les procédés sont encore donnés dans « Le Grand-Œuvre Alchimique », le cours de Stéphane Barillet cité plus haut) provoquent un afflux de lumière dans le corps de l’opérateur qui, conjointement à une discipline très rigoureuse, entraine un décrassage très profond du corps, et donc de l’état émotionnel (Ouille !!! Ouille !!!) et mental de l’alchimiste.
    Le corps physique de l’opérateur subit également des transformations spectaculaires (Paracelse parle de la régénération des cheveux, des ongles, de la remise en route des cycles féminins chez une vieille femme… Je peux parler d’une reprise de la croissance…), et le premier effet sera une régénération générale du corps avec une augmentation de la vitalité.
    Ici, point de « voie pédagogique », point « d’illustration du processus du Grand-Œuvre »… La pierre agit comme le radeau sur lequel vous êtes embarqué qui vous emmène sur le courant d’un fleuve tumultueux. Il ne vous faut pas longtemps pour vous retrouver dans un état d’être « naturel », même si votre santé physique peut être parfois altérée par la violence de l’opération, ou par votre manque de savoir gérer surtout.

    C’est cet aspect du Grand-Œuvre qui a rendu l’alchimie célèbre, même si c’est certainement le moins pratiqué des trois aspects que j’ai présenté.

    ***

    Je connais personnellement un bon nombre d’alchimistes amateurs qui se consacrent au premier de ces trois buts que propose la spagyrie/alchimie. Ce sont parfois d’excellents thérapeutes, comme il y en a dans tous les domaines de la médecine. Ces alchimistes amateurs embellissent la vie par leur pratique simple et naturelle.
    Je connais aussi personnellement des mystiques qui utilisent l’alchimie comme soutien à leurs activités. Ce sont souvent des mystiques chrétiens gnostiques car l’alchimie a beaucoup utilisé le symbolisme chrétien. Leur activité thérapeutique est souvent secondaire mais parfois présente.
    Je connais encore, personnellement, quelques alchimistes qui ont osé la purification de l’être par des préparations alchimiques déterminantes. Ils ont tous une activité thérapeutique discrète, ou discrètement liée à leur Art, et parfois professionnelle. Parmi les anciens, je range Paracelse parmi eux.
    Ces derniers ont-ils atteint une certaine perfection de la santé du corps ou de l’âme ? Heu… pas forcément, je ne crois pas… Ils sont juste heureux d’avoir réalisé ce travail, et ils continuent leur travaux, la performance reste absente du résultat…

    Voilà ce que peut offrir le travail alchimique…
    C’est à mon avis un très beau sujet d’étude que le rapport entre le corps et l’âme, entre la santé et la spiritualité…

    Matthieu Frécon, Sarreyer, 5 Décembre 2020


    (1) J’emploie ici le terme Spagyrie dans le sens où l’entendait son créateur, Paracelse, qui la définissait comme un ensemble cohérent de connaissances basées sur 4 piliers : Alchimie, Philosophie, Astrologie/Astronomie, et Vertu.

  • L'Alchimie et les traditions locales (retour de la Réunion)…

    L'Alchimie et les traditions locales…
    Monde végétal…

    Je reviens d’un séjour de 3 semaines sur l’île de la Réunion. J’y ai donné des stages de spagyrie, de distillation, et Kabbale. J’ai eu l’occasion de voir et goûter fruits, herbes &c… esprits locaux…

    Devenir alchimiste à la Réunion porte à réfléchir sur certains points, bouscule certaines habitudes… Par exemple, dans la tradition alchimique occidentale il est convenu que le seul produit de la vigne donne un « Mercure » spagyrique de qualité. Il est vrai que la vigne et l’alchimie sont arrivées ensembles de la même région méditerranéenne et leurs histoires sont très liées sur tous les plans. De plus l’esprit-de-vin est réellement un alcool d’excellente qualité et très pratique pour les extractions alcooliques ou acétiques (le vinaigre est un alcool oxydé, donc un peu plus décomposé). Mais à la Réunion, du vin, il n’y en a pas. Alors est-ce qu’il faut l’importer pour sacrifier à l’autel de la Tradition où est-ce qu’il faut chercher à réinventer l’alchimie pour l’adapter aux nouvelles conditions d’existences locales ?

    C’est une question intéressante que de mettre en perspective le but et les principes de l’alchimie d’une part, et les pratiques qui en découlent selon le contexte socio-culturel, géographique &c… d’autre part.

    Le mystère du vin, en alchimie comme à la messe, est lié au mystère de la vie et de la mort. La mort étant considérée comme un processus de transformation de la vie, une étape. La fermentation alcoolique et sa distillation est l’une, mais non la seule, des possibilités pratiques pour extraire et conserver la vie dans le règne végétal.
    J’ai autrefois connu un spagyriste lorrain qui, sans complexes, utilisait à la saison son laboratoire alchimique pour se faire quelques litres d’eau-de-vie de mirabelles. Il utilisait également sans complexes son esprit préféré pour ses travaux spagyriques (l’esprit de vin était alors remplacé par l’esprit de mirabelles). Les principe étaient respectés, son goût personnel aussi, et ses élixirs personnels étaient bien faits.
    Pour revenir à la Réunion, qui n’a rien à envier à la Lorraine en matière de fruits bien sucrés, l’alcool dominant sur place est évidemment le Rhum. Utiliser du rhum industriel pour nos préparations locales n’a pas tellement de sens d’autant qu’il est facile de mettre en fermentation et distiller soi-même du jus de canne à sucre (bio) et que les produits fait soi-même ont toujours infiniment plus de valeur que les produits du commerce (clin d’œil taquin pour les utilisateurs de carbonate de potassium industriel). L’esprit obtenu est de bonne qualité pour l’alchimie et facile à fabriquer. La canne est une belle plante, exubérante, généreuse…
    Je suis sûr que Sigismund Bacstrom, médecin alchimiste rosicrucien du XVIII° siècle qui a séjourné à la Réunion aura précédé notre chère Viviane le Moullec dans l’utilisation du Rhum pour ses élixirs « péïs » (« locaux » en créole).

    Pour continuer encore un peu sur ce sujet du choix de l’alcool. Il est traditionnellement convenu que l’esprit de vin est un mercure « universel » dans le règne végétal. Alors, je  reconnais à l’alcool de vin de belles qualités qui sont : facilité d’accès et de fabrication, un goût agréable et souple qui s’adapte bien aux travaux de teinture sans laisser trop d’emprunte au niveau gustatif, légèreté de goût et d’ivresse (pas pâteux ou gras comme un alcool de grain - bière par ex. - ou de pomme de terre qui sont à base d’amidon et non de fructose). De plus culturellement, le vin est un symbole très ancré qui relie l’image biblique (le christ utilisant le vin ou le vinaigre, dans le Cantique des cantiques &c…) à toutes les tables d’Europe. Au niveau santé, le vin rouge est encore un excellent remède pour prévenir du cholestérol, antioxydant &c… Mais à part ça, quand on parle d’universalité de l’esprit-de-vin comme mercure spagyrique végétal il est fait référence à la théorie paracelsienne des signatures. Il se trouve que parmi les domaines de recherches qui ont fait évoluer la spagyrie et l’alchimie ces dernières décennies, la théorie des signatures n’a pas progressé et il serait temps d’y réfléchir pour mieux comprendre ce concept et vérifier les attributions traditionnelles. Sans refuser purement et simplement le caractère universel de l’esprit-de-vin, je préfère attendre que la connaissance ait avancé dans ce domaine pour juger de l’opportunité d’en faire un usage aveugle. Je remets en question cette notion de théorie des signatures pour y réfléchir et la éventuellement la faire évoluer.
    En attendant, je ne peut pas repousser l’idée que l’esprit de canne est sans doute un excellent support de la vie végétale à la Réunion et j’encourage les alchimistes réunionnais à couper la canne à la saison.

    Il y a d’autres aspects de l’alchimie traditionnels qui sont encore sujets de réflexions. Ainsi le rythme annuel avec 4 saisons qui lie l’activité alchimique à l’agriculture en Europe n’existe pas sous les tropiques. En effet, le rythme annuel de croissance des végétaux est atténué par la latitude tropicale et par l’activité  permanente du volcan qui dynamise sensiblement la vitalité générale des habitants, végétaux et animaux. De plus, l’île de la Réunion est jeune (2 ou millions d’années, l’enfance de l’île…), ce qui augmente encore sa vitalité et son énergie. De même, le système symbolique astrologique qui soutient notre calendrier hermétique, et son développement par Rudolf Steiner (biodynamie) sont peut-être sources de réflexions et d’adaptation à cette île tropicale de l’hémisphère sud.

    D’ailleurs cette activité volcanique est un sujet d’étude alchimique complexe qui devrait suggérer de nouvelles voies, de nouvelles philosophies et pratiques. Pour les spécialistes de l’alchimie minérale, le sous-sol est très pauvre, mais le feu est tellement présent que l’alchimiste ne peut que s’y sentir chez lui…

    Si le sol et les minéraux sont pauvres, il n’en n’est pas de même avec le monde végétal. La vitalité et l’organisation du biotope sont remarquables et sujet d’observations originales de la nature. Sur un plan plus classique, la flore est évidemment différente de la nôtre et de nouvelles gammes d’élixirs végétaux sont à inventer. Il n’est pas certain que la base de phytothérapie et d’herboristerie classique telles qu’elles se sont développées en occident soient la meilleure piste à suivre. Il est peut-être intéressant d’inventer une nouvelle « matière médicale » spagyrique locale inspirée d’une relecture originale de la nature comme Hahnemann l’a fait en son temps sans s’aider de la matière classique de son époque, et comme Bach le fera après Hahnemann sur des bases encore originales.
    J’en profite pour rappeler que la spagyrie et plus encore l’alchimie sont basées sur une philosophie de la nature unitaire. L’alchimiste a une conception unitaire de la nature et cherche la médecine universelle (unique donc). Dans la mesure où il utilise les vertus (le caractère, le « soufre spagyrique ») des plantes, il travaille avec un mélange de ce caractère universel de l’existence et le caractère particulier de chaque être (les plantes). La spagyrie a peut-être parfois trop flirté avec la conception de la nature des herboristes qui la considère dans sa multiplicité. Sans prétendre a une supériorité de l’une ou de l’autre conception de la nature, il faut quand-même reconnaitre leurs spécificités réciproques pour mieux se positionner, selon sa conception personnelle des choses.
    Pour résumer cette question, se promener dans ce paradis végétal puissant tel un Robinson sur ne nouvelle île est une opportunité de réinventer sa conception de l’organisation de la nature, et de réinventer le sens de la vie pour inventer une nouvelle médecine spagyrique.

    Un autre élément qui saute aux yeux de l’alchimiste est la lumière et le fait que l’océan soit toujours plus ou moins en vue. Il est évident que les voies alchimiques qui utilisent la lumière solaire, particulièrement quand elle est réfléchie sur l’océan sont à privilégier. Je pense évidemment aux voies développées par Stéphane Barillet qui a d’ailleurs choisi d’habiter un temps sur ces îles tropicales.
    Sur l’île de la Réunion, on peut penser aux calcinations solaires dont la technique remonte aux déserts du moyen-orient dans l’antiquité (Ezéchiel). Mais on peut aussi penser aux travaux sur le sel de mer et sur la flore et la faune marines (attention aux requins quand-même !).

    Bref, moi qui habite quand-même au pays de Paracelse, j’ai un peu de nostalgie en pensant à un laboratoire dans la forêt tropicale réunionaise, face à l’océan et ses soleils couchants… ça me plairait bien de réinventer l’alchimie, de réinventer la vie en sirotant un verre de « Pierre de canne (1)»…

    Matthieu Frécon, Sarreyer, mars 2020.

    Le labo 1

    (1) Version « péïs » de ma « Pierre de Vin », qui est un élixir alchimique pour l’entretien de la santé.

  • Le principe Mercure

    Le principe Mercure

    La monade he roglyphique john dee

    En Spagyrie, le Mercure est l’un des trois principes qui constituent l’être avec lequel nous travaillons, une plante le plus souvent. Les deux autres principes sont le Soufre et le Sel.
    Le Mercure a une place privilégiée en Spagyrie puisqu’il représente le principe de Vie, la vie qui est à l’origine de l’existence et qui est, finalement la raison d’être de l’alchimie toute entière.
    Une petite remarque s’impose déjà : je parle bien ici des trois principes définis par la spagyrie, et non par d’autres voies alchimiques plus anciennes, d’autres façons de concevoir ces principes. Je m’expliquerai un peu plus en fin d’article.

    Tout d’abord, le symbole de Mercure.
    Mercure est l’équivalent romain de l’Hermès grec, et du Thôt égyptien. Hermès est quelque part le Saint Patron de toute l’Alchimie. Auteur légendaire de la Table d’Émeraude qui est l’un des textes fondateur de l’alchimie et qui fait le consensus général dans toute la tradition, et père de la tradition hermétique dans laquelle s’intègre l’alchimie depuis la renaissance. Mercure est aussi un dieu plein de paradoxes : il est le messager des dieux, avocat des menteurs, des voleurs… il vole dans les deux sens du terme, il parle toute les langues et reste « hermétique », incompréhensible…
    En tant que distillateur de spiritueux, j’ai une affection toute particulière pour cet esprit joueur, peu viril et presqu’un enfant qui sait quand-même prendre à l’occasion la place de Mars ou de Pluton dans la couche de Vénus (Vénus est alors représentée par le cuivre de mes alambics). Le Mercure-esprit en tant que spiritueux est fixe puisqu’il se conserve. Il capte et retient les âmes (c-à-d les Soufres : les principes des plantes, leurs odeurs, leurs couleurs, leurs vertus…). Il reste toutefois volatil et, distillé, les emmène dans ses vapeurs invisibles…
    Mercure, dieu de la médecine sait produire des esprits, des alcools qui sont tout à la fois des poisons et des remèdes, parfois poisons pour le corps du buveur et remèdes pour son âme, parfois le contraire… Il est encore à la base de la parfumerie, qui est profonde comme une antique médecine du corps et de l’âme peut l’être, et superficielle comme l’est la cosmétique de notre époque…

    Mais en Spagyrie, il représente la Vie de la plante, ou la Vie dans l’élixir. On le capte lorsque la vie de la plante s’en va. Ce moment fragile de l’existence qui signe l’arrivée - la naissance, ou le départ - la mort, de l’être dans « cette vie ». C’est en travaillant sur le processus de décomposition, de putréfaction, ou de fermentation, que l’on capture et que l’on fixe ce messager de la Vie. Fermentation d’abord qui met en mouvement et en évidence notre vie, puis distillation pour la fixer ensuite s’il s’agit de fermentation alcoolique. La fermentation est connue pour être la clé qui ouvre le mystère alchimique de la vie.
    Une fois enfermé dans son flacon, Mercure saura retenir la vie environnante, par exemple la vie des plantes qui y sont mises en macération. La teinture obtenue sera fixe, son énergie sera conservée.

    En dehors de l’aspect fermentation, on peut dire qu’un Mercure est une matière qui capte, fixe, et conserve la vie. L’alcool est le Mercure le plus utilisé par les alchimistes/spagyristes, mais il y en a d’autres : le vinaigre, qui est un alcool oxydé (un peu plus décomposé) fonctionne aussi. L’éther, qui est fabriqué en versant un acide sur une vapeur d’alcool fait aussi partie de cette catégorie (je déconseille l’expérience…). Plus éloigné, mais qui répond aux mêmes critères, l’ammoniaque qui est le fruit de la fermentation des animaux est un Mercure animal. L’ammoniaque est très actif sur le cerveau reptilien, le cerveau alaimbique ;-) … Il résonne profondément en nous, mais reste quelque peu toxique ! Un ammoniaque très finement distillé a une odeur qui touche au sublime et nous fait appréhender le mystère de la vie animale. Je déconseille toutefois une étude trop approfondie de cette matière un peu forte pour notre cerveau fragile… Encore plus loin, pourrait-on considérer le sel, je parle maintenant du sel de mer, comme un Mercure ? En effet, si le sel n’est peut-être pas le fruit d’une fermentation (processus de décomposition au moment de la mort), il est peut-être le fruit d’un processus de création (naissance) puisque l’on considère aujourd’hui que c’est dans les eaux saumâtres qu’apparait la vie dans son état le plus primitif ? Toujours est-il que le sel de mer possède lui aussi la vertu de capter et de conserver la vie. Enfin, le sel de mer permet une fermentation des végétaux que l’on commence à découvrir : la lacto-fermentation (sauf en Alsace où l’on sait depuis toujours que l’on ne peut pas vivre sans choucroute). Pour conclure avec le sel de mer, je précise que lorsque Paracelse parle du Sel (principe Sel), la plupart du temps il parle du sel de mer, ou du sel gemme que l’on trouve dans les mines de son beau pays, c’est la même chose.

    Voici pour le principe Mercure en Spagyrie, le principe de la vie, du mouvement, du paradoxe… Le principe par excellence. Le principe chanté par Rabelais et sa Dive Bouteille aussi. Le principe qui trinque (« Santé ! »)…

    °°°°°°°°°°

    Mais pas seulement…
    Pour conclure en ôtant toute ambiguïté avec cette question épineuse des principes il me faut revenir sur cette question de polysémie des principes alchimiques.
    En effet, l’alchimie la plus traditionnelle connait deux principes : le Soufre et le Mercure qui ne correspondent pas du tout aux trois principes paracelsiens que j’ai présentés dans le cadre de la spagyrie.
    Soufre et Mercure, dans ce cas, sont les deux polarités de l’ensemble primordial. Il s’agit du couple créateur-créature (création). Ce sont les pôles positif et négatif, l’actif qui engendre l’existence, et l’existence dans son ensemble. C’est encore l’énergie qui féconde, et la matière qui est fécondée. Enfin, dans l’imagerie alchimique, c’est le Roi et la Reine, le Soufre solaire et le Mercure lunaire.
    Dans ce système symbolique, votre matière prête à être fécondée par le Feu Secret est un Mercure. Ce Mercure peut avoir un aspect salin, pourquoi pas ? ou toute autre apparence. Il reste que c’est, sur le plan de sa fonction, un Mercure. Ce Mercure sera fécondé par le Soufre solaire, sous l’aspect d’une huile dans certaines voies métalliques humides, ou de rayons lumineux pour les voies sèches… Peu importe, cette énergie a pour fonction de féconder le Mercure et de le transformer en Pierre Philosophale.
    Ici, dans ce symbolisme binaire, c’est le Soufre qui apporte la Vie et le Mercure qui la reçoit et la développe.

    Pourquoi ce Mercure porte-il ce nom ? C’est probablement en relation avec la voie du cinabre. C’est une voie ancienne qui travaille avec le cinabre qui est un minerai de mercure. De même, le Soufre est aussi en relation avec certains travaux qui utilisent le soufre natif. Des fois, en alchimie, les choses sont plus simples que l’on croit…

    Les deux systèmes symboliques sont incompatibles, insolubles. Il faut savoir lequel est utilisé lorsque l’on lit le mot Mercure ou le mot Soufre pour savoir de quoi il s’agit. Avec cette clé, il vous sera facile de comprendre ce que sont, ou ce que peuvent être les principes alchimiques.

    Matthieu Frécon, Sarreyer, juillet 2019

     

  • L'Or des alchimistes

    L’Or des alchimistes
    Or

    Lorsque l’on parle d’alchimie, l’or est la matière la plus citée. L’apparition du métal précieux, au sens propre comme à l’imagé, signe la consécration de l’alchimiste. la transmutation d’un métal en or est encore aujourd’hui considérée comme l’aboutissement de l’œuvre et la preuve irréfutable de l’adeptat.
    Si aujourd’hui l’on admet en général l’existence d’une alchimie spirituelle, non matérielle ou non matérialiste, ou encore l’existence d’une alchimie orientée vers une médecine pour l’homme destinée à sa santé ou sa réalisation spirituelle, l’or est alors considéré, par extension, comme un symbole de perfection. Le fait que le métal solaire ait longtemps été l’étalon de la fortune a évidemment contribué à sa réputation, et son incorruptibilité en fait une référence spirituelle et une valeur sure.

    L’alchimie est un domaine de connaissance des plus mystérieux et des plus malléables. Dans ce domaine, il semble que tout soit possible, et surtout tout et son contraire… Les sages sont aussi des escrocs et les escrocs des sages (Edward Kelly, Cagliostro, et pourquoi pas Patrick Burensteinas ?…). Les recettes les plus farfelues sont des allégories et en même temps sont clairement des recettes de cuisines dont le détail des fabrications est explicitement décrit. Les matières décrites suggèrent des principes cachés (Sel, Soufre, Mercure) quand dans le même temps ils parlent parfois des matières communes sans la moindre allégorie (quand Paracelse parle du Sel, il parle la plupart du temps du sel commun utilisé en cuisine, le Soufre désigne du soufre physique dans certaines voies, et il en est de même pour le mercure, - le cinabre -) &c… Un exemple frappant est le symbole de la piraterie qui est composé de deux tibias croisés surmontés d’un crâne.
    Tibias
    Tel alchimiste comprendra que les tibias représentent la stibine (stibia), c’est à dire le fameux antimoine, quand d’autres comprendront que les « tibias » désignent tout simplement les ossements chers à Ezéchiel et à Nicolas Flamel. Le plus merveilleux là-dedans est que tibias et stibia sont bien des matières premières que les alchimistes travaillent l’une comme l’autre et de plus, qu’ils travaillent parfois de la même façon (décrite en détail d’abord par Ezéchiel et enfin par Stéphane Barillet dans son « Grand Œuvre Alchimique ») ! La calcination solaire des ossements donne alors une médecine pour l’homme quand celle de l’antimoine (purifié sous la forme de régule) donne une médecine métallique destinée à la transmutation.
    Soit dit en passant, c’est ce travail, dans sa version ossements en tous cas, qui est décrite dans l’allégorie de l’Arbre sec qui reverdit avec l’aboutissement du travail. Cet arbre mort désigne encore les os par le truchement d’un jeu de mot en hébreu puisque dans la langue d’Ezéchiel Os se dit « Etsimoth » soit Arbre (Etz) mort (Moth).

    La grande énigme de l’alchimie, celle qui excite la curiosité et laisse en arrêt bien des alchimistes sur les starting-blocks (et sans que jamais ils ne démarrent sur la voie…) est la question de la Materia Prima, la Matière Première.
    Matière Première est souvent entendue comme la matière avec laquelle l’alchimiste commencera son travail comme la farine serait la matière première du boulanger ou le raisin celle du vigneron. En réalité, il faut entendre « première » comme celle qui est à l’origine (or-est-gène) de l’existence.
    C’est là que les pièces du puzzle de mon exposé s’assemblent : la matière première, celle qui est à l’origine de l’existence est, pour les alchimistes, la lumière « que l’on a en permanence sous les yeux sans cependant la voir » (Fulcanelli), la lumière solaire. Or, cette lumière se dit en hébreu « Aur » (« et Dieu dit « Que la lumière - Aur - soit, et la lumière - Aur - fût » Gen. 1.4). Voici l’Or des alchimistes, et voici leur matière première. Ce n’est pas la place ici de faire une interprétation kabbalistique du mot Aur (Aleph, Vav, Resh) qui confirmerait ce sens d’énergie primordiale et solaire, mais il est confondant de voir à quel point il prend en Kabbalah le sens de l’or-matière première des alchimistes.
    Et la transmutation ? et bien, comme je l’ai souligné plus haut, tout semble possible en alchimie, tout et son contraire, et si la transmutation est une allégorie qui désigne la transmutation d’une matière en lumière, ou dans une moindre mesure l’ajout de lumière dans une matière, il semble qu’elle soit aussi une réalité au sens stricte, de nombreux témoignages l’attestent, mais je n’ai pas de photos à vous montrer pour confirmer la chose…

     Pour terminer sur une note réaliste et encourageante, contrairement à l’or de nos trésors, Aur, la lumière n’est pas incorruptible puisque c’est elle qui se condense pour former notre monde mortel, mais encore, contrairement à l’or de nos banquiers elle est gratuite et se donne à qui prend la peine de la recueillir, de la fixer, et de la rendre assimilable, comme l’est la Pierre des Philosophes…
    C’est sur cette note, cet encouragement à aborder la pratique alchimique que je vous laisse la préparation d’une petite merveille de l’alchimie. C’est un petit élixir qui contient tous les principes de cette voie des ossements, qui contient toute la méthode pour concentrer et fixer la lumière et l’absorber sans danger mais avec un bénéfice tout à fait réel malgré la discrétion des effets (c’est d’ailleurs aussi bien comme ça : la transformation intérieure est rarement une partie de plaisir…). C’est « L’Elixir solaire » que Stéphane Barillet avait publié dans le matériel offert quand il faisait la promotion de son premier cours « Le Grand Œuvre Alchimique ».
    Cet élixir se prépare quand on en a l’occasion, chaque jour si c’est possible. Il est susceptible de développements extraordinaires, mais c’est sous cette forme simple qu’il offre le plus bel exemple que je connaisse dans le travail alchimique d’équilibre entre douceur et efficacité.

    http://www.atelier-spagyrie.ch/pages/ressources-et-documents/l-elixir-solaire-de-stephane-barillet.html

    Matthieu Frécon, Sarreyer, juillet 2019