L’alchimie, la nature et les Saintes Écritures

L’alchimie, la nature et les Saintes Écritures

La nature et la bible sont les deux sources d’inspirations de l’alchimiste.
La nature d’abord, est rappelée à l’esprit de l’alchimiste par l’injonction répétée de l’imiter (« l’alchimiste doit imiter la nature ») et l’alchimie elle-même est souvent qualifiée d’« agriculture céleste », ce qui suppose d’être proche de la nature et de travailler avec elle et avec ses cycles.
La bible reste présente dans la vie de l’alchimiste européen par sa conception de la spiritualité qui est basée sur l’élection divine : Dieu donne la pierre à l’alchimiste comme il a donné les tables de la loi à son prophète Moïse. La bible initie aussi le cycle septenaire dans le récit de la création en 7 jours au début de la genèse. Ce symbolisme astrologique restera omniprésent dans le symbolisme alchimique. Accessoirement, le processus alchimique pourra être décrit de façon imagé avec des épisodes bibliques comme le texte sur le déluge ou le Cantique des cantiques par exemple, de la même façon que les auteurs empruntent à la mythologie grecque, mais ce n’est pas le sujet que je développe maintenant.
Mon idée ici est d’observer les spécificités de chacune de ces deux sources d’inspirations de l’alchimiste et de voir leurs points de rencontres éventuels.

L’observation de la nature est basée sur le travail, l’observation, et le bon sens, je dirais même, le bon sens paysan. La conception du travail basé sur des cycles septenaires ou sur la conception mystique de l’élection divine (le « don de Dieu ») ne sont pas basés sur une quelconque observation de la nature mais sur la foi dans la bible. Le texte sacré n’est certes pas une création ex-nihilo et il doit y avoir un rapport entre la bible et la réalité, c’est-à-dire la nature, mais aujourd’hui, les rapports qu’il pourrait y avoir entre eux sont invisibles et seule la foi, ou une improbable « élection divine » personnelle peut nous nous encourager à conserver la bible comme support à notre pratique alchimique. Cela ne fait pas beaucoup. D’ailleurs, une nouvelle compréhension du corpus biblique basée sur l’archéologie et sur la linguistique permet de mieux comprendre comment on est arrivé à prendre cette belle bibliothèque (la bible) pour un texte cohérent et fiable (pour rassurer ceux qui ne me connaissent pas, je dois préciser que je connais assez bien ce sujet qui me passionne et que je suis un très fidèle lecteur des deux bibles).
Alors comment l’alchimiste va t’il organiser son travail ? Un peu de symbolisme le matin et un peu de bon sens paysan l’après-midi ? C’est plus ou moins comme cela qu’il s’en sort aujourd’hui mais c’est assez léger au niveau de la méthode et l’on pourrait mieux étudier la question pour avoir de meilleurs résultats.
Tout d’abord, je pense que si l’on devait choisir entre l’un ou l’autre de ses deux modes de pensée, seul l’observation de la nature permettrait d’avoir des résultats en alchimie. La bible recèle des trésors initiatiques, mais à part la recette de la pierre faite par la calcination solaire des ossements fermentés donnée dans Ezéchiel, je ne connais pas grand chose de réellement pratique en alchimie dans la bible. Cela se limite à un support symbolique encourageant (en matière de laboratoire alchimique bien-sûr). L’imitation de la nature donc, est la base du travail alchimique.

Mais alors pourquoi reste-t-on tant attachés aux textes sacrés ? D’abord, parce que la bible est la base de notre structure mentale, c’est notre « système d’exploitation » fondamental traditionnel (mais cela change maintenant). Nous sommes donc intimement rassurés si l’on peut gérer notre alchimie dans cette structure mentale. Ensuite, notre proximité avec la bible rassurera nos proches, ce qui pouvait être salvateur aux époques où la religion était abusive dans la société. Pendant ces époques dangereuses, l’alchimie se devait donc d’être chrétienne pour ne pas être païenne. Le bucher, ça marque…

Quel est le problème avec le symbolisme biblique dans le grand-œuvre alchimique ? A priori, le seul problème que je vois pourrait venir de la conception de la spiritualité qui peut se révéler différente dans la bible et dans la nature.
La conception biblique de l’élection divine vient à mon avis d’une série de confusions que l’on a faites sur le texte et qui sont d’origine socio-politique. En effet, les « Saintes Écritures » sont, on le sait aujourd’hui, une compilation de textes d’origines différentes développés à des périodes différentes par des personnes ou des tribus différentes. Le tout a été rassemblé et « édité » par des scribes un peu avant l’époque de Jésus. Pour la bible chrétienne, c’est moins hétérogène, mais la problématique reste plus ou moins la même. À partir ce cette compilation et pour des raisons socio-politiques, on a créé le mythe de la bible donnée par Dieu à Moïse au mont Sinaï (pour le pentateuque en tout cas). C’est à partir de là que le concept de Dieu est devenu confus (Qui est Dieu ? Où est-il ? Quel est son nom ou pourquoi tous ces noms ?). Le concept d’expérience spirituelle s’est formalisée en élection divine (devenir l’élu de Dieu) alors que l’expérience de Moïse, je l’ai développé ailleurs, est plus proche de l’éveil du Bouddha que de ce que l’on raconte au cathé ou au talmud Torah. Sachant cela, on peut comprendre que le processus initiatique alchimique est un processus naturel donc basé sur… l’observation de la nature. C’est un processus graduel qui offre à l’alchimiste un éveil à sa vrai nature, un vrai sens à sa vie. La promesse de l’alchimie sera donc une meilleure relation entre l’alchimiste et le monde (la relation microcosme/macrocosme), une amélioration sensible de la santé, une immortalité parce que l’alchimiste s’est éveillé à la Vie et que la Vie est sans fin, et, la cerise sur le gâteau, un bonheur parfait. Je ne pense pas qu’il soit question d’une quelconque promesse dans une éventuelle après-vie, tout au moins, je n’ai aucune expérience personnelle dans un tel domaine…

Il est utile à l’alchimiste sur le chemin de bien réaliser cet aspect  de ce que l’on appelait hier l’initiation et que l’on appelle aujourd’hui l’éveil spirituel pour mieux cibler son but, pour bien adapter son travail et ses attentes.

Pour finir, je voudrais rappeler que l’étude de la bible et/ou de la Kabbale en relation avec l’alchimie est récente et date tout au plus de l’hermétisme florentin de la renaissance (Italie XV° siècle donc). Avant, la relation entre bible et alchimie était de l’ordre de la référence culturelle, mais il n’y avait pas de lien réellement structurel entre les deux. L’alchimie était pratique et en général liée aux métiers de médecin/apothicaire/herboriste. D’ailleurs, Paracelse, le grand alchimiste de la renaissance, ne fait pas de lien entre son alchimie à lui, qu’il appelle « Spagyrie » et qui a d’abord un but médicinal, et la bible. Par contre, il consacre un livre entier à sa mystique chrétienne personnelle comme en témoigne son « Évangile d’un médecin errant » (traduction Lucien Braun) qui ne parle pas d’alchimie. Pour Paracelse, alchimie et bible ne sont pas organiquement liées. Ceci n’empêche pas que pour Paracelse comme pour la plupart des alchimistes contemporains, l’alchimie comporte une dimension mystique ou spirituelle nécessaire, hygiène naturelle de vie finalement, et que « Ora et Labora » reste une devise actuelle.

Matthieu Frécon, Sarreyer le 31 juillet 2023

 

 

 

 

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