Cantique des cantiques

  • Soleil noir…

    Soleil Noir…

    Ce 25 janvier, jour anniversaire de la mort du poète aux 3 RGe rard de nerval

    Le point noir

    Quiconque a regardé le soleil fixement
    Croit voir devant ses yeux voler obstinément
    Autour de lui, dans l’air, une tache livide

    Ainsi, tout jeune et plus audacieux,
    Sur la gloire un instant j’osais fixer les yeux :
    Un point noir est resté dans mon regard avide

    Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
    Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon œil,
    Je la vois se poser aussi la tache noire !

    Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
    Oh ! c’est que l’aigle seul - malheur à nous ! malheur !
    Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

    El Desdichado

    (…) Ma seule étoile est morte et mon luth constellé
    porte le Soleil noir de la Mélancolie (…)

    Gérard de Nerval, les Chimères

    Je suis noire mais je suis belle (…)
    Je suis noire parce que le soleil m’a brûlée (…)

    Cantique des cantiques, extraits du ch. I

    Gérard de Nerval laisse supposer que l’éducation ésotérique de son oncle occultiste l’a quelque peu marqué du sceau d’une mélancolie mystique et que le culte solaire n’y est pas étranger.
    L’âme, dans le cantique est plus joyeuse, et l’aspect solaire de son Bien-aimé est manifeste.
    Faut-il regarder le soleil en face, ou user d’artifices comme Narcisse ?
    Mais enfin, « rien de neuf sous le soleil » (Ecclésiaste) ?

  • Qu'est-ce que l'Âme

    Qu’est-ce que l’Âme ?
    Pour Philippe Pissier, pour la dernière phrase…

    « Qu’est-ce que l’âme ? » demande Moshé Ibn Tibbon à Abraham Aboulafia dans le roman (1) que le kabbaliste Georges Lahy consacre au père de la kabbale extatique (Aboulafia donc).
    Qu’est-ce que l’âme ? donc… (2)

    La Kabbale, comme à son habitude, cherche des réponses dans une démarche d’analyse des textes sacrés. En effet, la kabbale considère que le plan de la création se trouve dans la Thorah (au sens de Bible hébraïque), et sa compréhension permet de répondre progressivement à toutes les questions. Le résultat est souvent une explication systématique et l’élaboration d’un système de pensée. Malgré l’affection infinie que j’ai pour la Kabbale, je reconnais ne pas toujours suivre cette démarche et c’est le cas aujourd’hui pour répondre à cette question sur la nature de l’âme (3).

    Au moment d’écrire mes réflexions sur ce sujet, je suis dans mon camping-car dans une jolie campagne. Un rouge-gorge familier tourne autour de moi et cherche la rencontre. Le nouvel an occupe les humains et la nature, détachée, s’exprime en beauté.

    Qu’est-ce que l’âme ?
    L’âme semble être, si je cherche la réponse dans les éléments qui m’entourent, la conscience qui m’anime. L’âme, c’est ce qui me pousse à me poser question, et ce qui me pousse à répondre à mes questions. C’est aussi l’émotion que je ressens devant la question, et devant le rouge-gorge aussi. C’est ma conscience d’exister. C’est ma vie.

    l’âme est-elle immortelle ? se demandent les kabbalistes du roman de Georges Lahy…
    Il est l’usage d’accompagner le concept d’âme par celui d’Esprit. Pour ma part, dans la tradition romantique et courtoise qui m’est chère et qui vient du Cantique des cantiques, le but ultime de l’existence semble être l’Union Mystique entre l’Âme, la bien-aimée du Cantique, et de l’Esprit, son bien-aimé. Union, ou fusion, si l’on chipote sur d’éventuels degrés dans cette rencontre. Mais mon but, dans le coin de nature qui m’accueille maintenant (je suis toujours dans mon camion, entouré de verdure, d’oiseaux, et de la lumière du soleil hivernal…), n’est pas de distinguer les degrés de l’âme ou des degrés de l’Union Mystique. Ici et maintenant, je tends plutôt vers une simplification des concepts pour ne pas casser ce sentiment d’harmonie naturelle, cette union des choses justement. Quelque peu fondu dans la nature, je vis simplement l’existence de l’âme, ou de mon âme si la question de l’appartenance de l’âme à ma personnalité se pose.

    Par ailleurs, cachée dans les fourrés, je devine encore la présence de l’Esprit, cette chose inconnue de mon âme. Inconnue parce qu’encore distincte. Inconnue et désirée.

    Si mon âme est la conscience, si cette conscience aspire à la rencontre de cet esprit, « celui qu’aime mon âme » (Cant. III, 1), on a une image limpide du jeu de la conscience et de l’inconscient dans le concept jungien. Jung défini l’inconscient comme la part d’existence non-encore découverte par la conscience. La découverte se fait, chez Jung, par étapes, ou s’aborde par différents aspects qui incluent les notions de personnalisation ou de collectivisation de la conscience. Mais peu importe ces précisions, je préfère maintenant rester dans la simplicité des concepts. Cela n’enlève rien à la joie de leur conscientisation, ce qui est finalement le but de cette union (la joie).
    Le parallèle entre l’âme et l’esprit d’une part et la conscience et l’inconscient d’autre part, est intéressante par leurs points de vues complémentaires, et leur rencontre est l’ultime expérience de l’existence. Chez les amoureux du Cantique, il semble que ce soit la fiancée (l’âme donc) qui se développe pour atteindre la maturité qui lui permettra le mariage avec son Bien-aimé (« Notre petite sœur n’a pas encore de seins, qu’arrivera-t-il le jour où l’on parlera d’elle ? » Cant. VIII, 8). Chez Jung au contraire, on comprend que cette union se produit par l’absorption de l’inconscient, sa diminution donc, dans la conscience.
    Mais peut importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse n’est-ce pas ?

    L’âme ne serait-elle qu’une étape de la prise de conscience universelle ? l’âme n’existerait donc qu’en tant qu’état intermédiaire de la Vie ? Un moment dans l’Existence ? Voilà ce que pourrait être l’âme…

    Comment prendre conscience de son âme ?, ou comment voir son âme ? Voici un beau sujet de réflexion que je pourrais développer dans ces pages. Mais je préfère vous laisser seul avec Elle, vous saurez bien trouver votre réponse à cette question passionnante…
    Ma piste, c’est que voir son âme, ce n’est pas prendre conscience de son désir d’union, ça, c’est ce qui nous pousse à chercher réponse à la question justement. Voir son âme, c’est en fait déjà vivre l’union, la fusion, avec l’esprit, l’Univers. On ne voit pas l’âme, on ressent son désir d’exister. Ce que l’on voit, c’est son union, au moins partielle, avec l’Esprit, l’Univers, la Vie. Dans ce sens, l’âme n’existe vraiment que lors de sa fusion, en même temps que sa disparition en tant que telle donc, au sein de l’Existence (4).

    Joyeuse nouvelle année 2022 à tous !

    Matthieu Frécon, dans la campagne, nouvel an 2022.

    (1) Aboulafia, la quête du kabbaliste, Georges Lahy auteur et éditeur 2019.
    (2) Cet article m’a été inspiré pendant la lecture de ce livre. J’ai dû interrompre ma lecture, écouter les oiseaux, écouter mon âme, et essayer de poser des mots sur mon ressenti… Il y a pire comme discipline !
    (3) L’école Lourianique de Palestine au XVI° siècle décrira une anatomie complexe de l’âme en 5 niveaux : Nephesh, Rouach’, Neshamah, Ch’ïah, et Yech’idah. Cette école est connue pour avoir développé des systèmes philosophiques complexes et abstraits.
    (4) la théorie que je développe ici est totalement pratique. Elle ne recherche pas la vérité et ne s’encombre pas d’explications. C’est une pure méthode qui ne se satisfait que de la seule expérience, l’Union Mystique.