Dorvault

  • Dorvault : Introduction à l'Officine (1872)

    Dorvault, Officine de Pharmacie pratique, 8° édition 1872.
    Extrait de l’introduction.

    Dorvault page de gardeCette officine de pharmacie pratique se donne pour but l’explication des procédés que les pharmaciens doivent réaliser pour satisfaire les ordonnances des médecins. En effet, les médicaments, à l’époque, sont fait par les pharmaciens. Ceux-ci distillent des eaux florales (de laitue -vireuse- par exemple, d’après les explications de Dorvault), fabriquent des remèdes homœopatiques pour les hommes ou les animaux, fabriquent des éthers ou de l’ammoniaque dans leurs officines…
    A la fin du XIX° siècle, on croit savoir l’alchimie loin derrière le monde médical et scientifique, mais Dorvault, le savant Dorvault, nous rappelle que le souvenir des alchimistes est encore très présent dans l’esprit des scientifiques et l’extrait de l’introduction à la 8° édition de son officine (1872) que je vous propose est un bel éloge aux disciples d’Hermès (IT).

    On peut noter une très belle connaissance de l’auteur de l’histoire de l’alchimie. On peut noter aussi qu’il soulève une question majeure dans l’intérêt que les alchimistes portent à la médecine. D’après Dorvault, et je suis tout allié à son idée, la médecine est le premier centre d’intérêt des alchimistes, depuis Geber, le maitre des maitres (IT) pour reprendre l’expression de Dorvault, et Roger Bacon (cité en note) est très explicite sur ce point que l’on a oublié au cours du XX° siècle.

    Bref, Dorvault nous rappelle ce que les pharmaciens et les médecins modernes doivent à l’alchimie, et à quel point les alchimistes étaient plus qu’autre choses, des médecins-pharmaciens… Merci !

    On trouvera dans cette introduction la mention de l’or potable (2° §). J’ai cru intéressant d’ajouter au texte le procédé donné par Dorvault dans cette même officine de 1872, ainsi que le lien vers le procédé donné un siècle plus tard dans le journal des Philosophes de la Nature (LPN)… J’ai d’ailleurs d’excellents souvenirs de ce travail que j’ai réalisé plusieurs fois.
    MF. novembre 2020

    (…) la chimie, à laquelle la plus grande partie de ces progrès sont dus, a vu le jour, s’est développée, ainsi que l’indique son nom (1), dans les laboratoires de la pharmacie. Sans les recherches pharmaceutiques, sans cette multiplicité de médicaments employés dans la médecine ancienne et sans les opérations aussi variées auxquelles on les soumettait, elle n’eut point pris naissance. Le grand œuvre des alchimistes , ces pharmaciens-médecins d’un autre âge, qui se montrèrent d’abord en Asie et en Afrique vers le VIII° siècle, puis pénétrèrent, au temps des croisades, au centre de notre Europe, ou ils jouèrent un si grand rôle jusqu’au XVII° siècle, c’est-à-dire pendant tout le moyen âge et la renaissance, leur grand œuvre, disons-nous, fut originairement la recherche d’un médicament doué de propriétés miraculeuses, en un mot, de la panacée universelle.

    L’idée de la transmutation des métaux, qui paraît leur être venue plus tard, ne leur fit point déserter la recherche de médicaments doués de vertus surnaturelles. Si cette étude n’était pas déplacée ici, partant de Geber, le magister magistrorum, l’auteur de la Summa perfectionis, ouvrage de chimie le plus ancien que l’on connaisse, pour arriver à Paracelse, l’incomparable, l’enthousiaste Paracelse, qui, dans l’admiration de son génie et de l’horreur des travaux de ses devanciers, brûla tout ce qu’il put de leurs ouvrages, afin que l’on ne crût plus qu’à sa science, nous aurions à rapporter les noms et les travaux d’une brillante et à la fois obscure pléiade dont les noms sont universellement connus du monde scientifique, et nous verrions que depuis le premier qui présente son élixir rouge, dissolution d’or, comme moyen de prolonger la vie et de rajeunir la vieillesse (2), jusqu’au dernier, qui prétendant posséder le secret de l’immortalité mourait néanmoins à 48 ans, tous recherchèrent et vantèrent une panacée (3).

    Si les philosophes par le feu, les souffleurs, les disciples d’Hermès, comme on appelait encore les alchimistes, ne trouvèrent point la pierre philosophale, ne parvinrent point à faire de l’or ni à trouver la panacée universelle, ce qui, selon nous, était une seule et même chose, on ne peut disconvenir, du moins, que leurs travaux ne furent pas en pure perte : leurs découvertes, parmi lesquelles nous citerons les acides sulfuriques et azotiques, l’eau régale, l’antimoine, l’arsenic, le bismuth, le zinc, le phosphore, l’ammoniaque, les principaux sels métalliques, l’alcool, l’éther, la poudre à canon, la porcelaine (4), de nombreux procédés métallurgiques, le démontrent suffisamment. Disons même que si leur immense labeur n’a pas été plus fécond, peut-être faut-il s’en prendre un peu aux tribulations auxquelles ils étaient en buttes comme entachés de sorcellerie. Nul doute que s’il fût arrivé à l’un d’eux de faire une découverte qui eût sembler ébranler un dogme de la foi, la décomposition de l’eau, par exemple, il n’eût été pendu ou brûlé vif. Pour une découverte moins importante qu’il ne voulut pas renier Roger Bacon fût enfermé pour le reste de ses jours. Le langage allégorique des alchimistes, qui nous cache tant de faits précieux, prend autant sa source dans les sévérités dont ils étaient l’objet que dans l’amour du merveilleux qu’on avait à cette époque.

    L’idée de la transmutation des métaux vils en métaux nobles, pour laquelle on les a tant conspués n’est-elle pas en quelque sorte réhabilitée par des chimistes contemporains du plus haut mérite ? l’étude des poids atomiques des métaux, qui de plus en plus amène à les considérer comme des multiples les uns des autres, ne porte-t-elle pas au moins le doute dans les esprits ? Mais l’isomérisme n’y conduit-il pas tout droit ?

    Eux les premiers, marchant hors des sentiers communs, ont fouillé les arcanes de la science et en ont extraits les premiers matériaux, préparé, sinon posé, les premiers jalons. Eh ! mon Dieu, n’est-ce pas à cette race de rêveurs, de fous, d’enthousiastes adeptes de l’idéal, que l’on doit les plus hautes découvertes de l’intelligence, les systèmes philosophiques qui nous régissent, la physique céleste, le nouveau monde, l’imprimerie, la vapeur, le magnétisme, l’électricité, race qui comprend en effet aussi bien Pythagore, Platon, Démocrite, Leibnitz, Descartes, Archimède, Galilée, Newton, Christophe Colomb, Guttenberg, Papin, Volta, que les alchimistes proprement dits ?

    Est-ce à dire que nous voulions innocenter l’alchimie, que nous ne trouvions rien à reprendre dans ses actes ? Non. Mais si ses jongleries indignes souillent ses fastes, une gangue infime n’accompagne-t-elle pas toujours, dans leurs gîtes naturels, les pierres les plus fines, les métaux les plus précieux ?

    Après Paracelse, l’alchimie continue son règne. Ses disciples immédiats étendent considérablement le nombre des adeptes de l’art spagyrique (5) jusqu’à la fin du XVII° siècle, disons même jusqu’au milieu du XVIII° siècle. Mais à mesure que l’on approche davantage de cette époque, on voit les vapeurs de l’alchimie se dissiper et poindre de plus en plus l’aurore de la véritable science : Lux erit.


    A partir de cette période, parmi les ouvriers ardents de la science et plus exclusivement pharmaciens, nous trouvons Béguin, qui découvrit le calomel ; Glauber, qui découvrit l’acide chlorhydrique, le sulfate de soude, le kermès minéral, et qui le premier songea à utiliser les résidus des opérations chimiques ; Nicolas Lefebvre, fondateur de l’enseignement officiel de la chimie, d’abord en France, puis en Angleterre où il fut appelé par Jacques II ; Glazer, qui lui succéda dans la chaire du Jardin des Plantes et fit connaître le sulfate de potasse ; Lemery, le grand Lemery, l’humble pharmacien de la rue Galande, dont les cours de chimie attiraient des auditeurs de tous les pays (…)

    Dorvault livre


    Appendice :
    Teinture d’Or  (Officine de pharmacie pratique, 8° édition, 1872, p. 936) :
    Or : 4 ; Eau régale : 30 ; Versez dans la solution : Essence de Romarin : 60 ; Alcool : 240. Dose : 12 gouttes (Spiel. (IT) ). C’est là l’Or Potable.
    (Note : cette recette est un peu brute, l'eau régale n'est pas un aliment des mieux supportés… le procédé donné en dessous par LPN est beaucoup plus rafiné. Mais il est intéressant de voir que l'on trouve une recette d'Or Potable dans une officine de pharmacie de la fin du XIX° siècle…)
    Préparation de l’Huile d’Or (Le Petit Philosophe de la Nature n° 4, 1980)  : http://www.atelier-spagyrie.ch/blog/spagyrie-medecines-alchimiques/comment-faire-simplement-une-huile-d-or-par-jean-dubuis-lpp-n4.html.


    (1) l’étymologie du mot chimie vient du grec (et signifie), suc de plantes, dont la racine (signifie), je coule, je fonds.
    (2) Dumas, Philosophie chimique ; Hœfer, Histoire de la chimie.
    (3) L’alchimie, dit Roger Bacon, dans son Thesaurus chimicus, est spéculative lorsqu’elle cherche à approfondir la génération, la nature, et les propriétés des êtres inférieurs ; elle est, au contraire, pratique lorsqu’elle s’occupe artificiellement d’œuvres utiles aux individus et aux états, comme de la transmutation des métaux vils en or et en argent, de la composition de l’azufur et autres couleurs, de la dissolution des cristaux, des perles et autres pierres précieuses, mais surtout de la préparation des remèdes propres à la conservation de la santé, à la guérison des maladies et ad prolongationem vitæ mirabilem et potentem.
    (4) Botticher, entré en apprentissage, âgé de 19 ans, chez Zorn, apothicaire à Berlin, est l’auteur de cette découverte. Il la fit de 1704 à 1710. Quelques années après, les célèbres manufactures de porcelaine de saxe furent créées. De ce moment la Chine et le Japon n’eurent plus le privilège exclusif de la fabrication de cette poterie par excellence (Figuier, Alchimie)
    (5) Du grec Spao, et Ageiro, extraire et rassembler (analyse et synthèse)