Torah

  • Kabbale 2. : Le cadre historique

    Kabbale II. Le cadre historique

    0. Image sepher yetzirah
    Le but de cet article est de poser le décor. En effet, la kabbale comme l’alchimie est un domaine de connaissances qui s’étendent sur plusieurs milliers d’années et une très large aire géographique. Les contextes culturels qui ont accompagné la naissance et le développement de la kabbale sont également très divers et il n’est pas forcément facile d’imaginer le style de vie d’un religieux ou d’un mystique médiéval, et donc de comprendre le déroulement de sa pensée.
    Cet article est quelque part un avertissement à remettre la kabbale dans son contexte historique pour mieux la comprendre et mieux pouvoir se l’approprier. Ces données acquises, les articles suivants pourront être plus pratiques, et la pratique sera, je l’espère, mieux connectée à la réalité.

    I. Judaïsme

    La kabbale juive est-elle vraiment juive ? Les juifs sont-ils vraiment juifs d’ailleurs ? Ces questions peuvent se poser, mais ce qu’il importe maintenant, c’est de décrire le contexte culturel qui a vu naitre la kabbale hébraïque.

    Si l’on situe la naissance historique de la kabbale avec l’école de Provence au milieu du moyen-âge, alors sa proto-histoire est une part non-négligeable que nous allons étudier maintenant.
    En effet, c’est réellement entre le X° siècle avec Saadia Gaon (chef de communauté juive babylonienne du X° siècle) et le XV° siècle avec les disciples d’Isaac Luria (kabbaliste palestinien du XV° siècle) qui fixeront le rituel juif moderne que le judaïsme devient 1. Une religion, 2. Une religion en voie de devenir monothéiste, 3. Une religion qui s’interroge sur la notion de foi (question totalement absente du culte auparavant). C’est aussi à ce moment, avec les disciples de Luria, que la kabbale moderne est crée.
    Mais avant ?
    Le judaïsme antique est un ensemble de cultes plus ou moins proches adoptés par des tribus plus ou moins voisines évoluant parmi des peuples les plus divers sur l’ensemble du Moyen-Orient, et particulièrement en Palestine. Les livres rituels, mythologiques et historiques seront fondus ensemble vers le début de l’ère chrétienne en un corpus magistral qui deviendra un best-seller jusqu’aujourd’hui : la Bible. Les personnages importants sont souvent des prophètes : ascètes, guérisseurs… ils donneront les textes fondamentaux de la mystique juive qui deviendra la kabbale au sens large, et une partie de l’alchimie (dans Ezéchiel par exemple).
    Il y a à l’époque une grande richesse de cultes et le concept aristotélicien de non-corporéité de Dieu est inconnu : on possède de nombreuses représentations (sculptures) de Yahvé, avec ou sans sa parèdre Ashéra, et la bible regorge d’anthropomorphismes divins (« La main de Dieu » « Dieu apparu » &c…), une habitude qui restera très vivante dans la kabbale.
    On voit que le milieu culturel qui a vu naitre la mystique qui deviendra la kabbale est assez éloigné de l’image que l’on peut en avoir en lisant la bible telle qu’elle nous est parvenue aujourd’hui.  
    Le plus ancien texte vraiment kabbalistique qui n’appartient pas au corpus biblique est le Sepher Yetzirah (Livre de la formation). C’est un court texte d’origine babylonienne qui date de la fin de l’antiquité et qui traite de mathématiques, de cosmogonie, développe des thèmes de la genèse et d’autres parties de la bible, et quelques concepts philosophiques grecs.
    La « diaspora » juive est en fait le témoignage d’une communauté de peuplades situées sur l’ensemble du Moyen-Orient et Afrique du Nord qui partagent un certain nombre d’idées sans pour autant être unies par un culte unique. La tolérance naturelle sert de lien à tous.
    La première religion monothéiste est en fait réellement le christianisme qui innove avec le concept de monothéisme et avec le concept de foi. Son développement obligera le « judaïsme » à se positionner en tant que religion, vers la fin de l’antiquité.

    Quoiqu’il en soit, on en n’est pas encore à une standardisation mondiale du culte et les traditions juives sont encore riches de leurs influences locales et traditionnelles.

    La kabbale se prépare…

    Il faut réaliser que ce fond culturel extrêmement riche d’influences orientales des plus diverses s’intègrera naturellement dans la kabbale moderne et c’est ce métissage de cultures qui lui donnera de la complexité et de la profondeur.

    II. Le décors est planté, la Kabbale peut naitre…

    La kabbale historique nait dans le sud de la France, à Lunel au XII° siècle, quand Isaac l’aveugle écrit le Bahir (Livre de la Clarté). elle se développe en Espagne au siècle suivant et culmine avec l’écriture du Zohar (Livre de la Splendeur) vers 1270/1280. Là encore, une pensée et une méthodologie apparait, mais il existe un certain nombre de marginaux qui enrichiront la Kabbale d’influences diverses. Ainsi, au XIII° siècle, Abraham Aboulafia établi un système de kabbale extatique à partir de la bible, du Sepher Yetzirah, et de pratiques soufies. Sa kabbale est encore vivante aujourd’hui et se distingue de toutes les autres formes de pratiques kabbalistiques.
    Le Zohar, écrit en Espagne par Moïse de Leon est une encyclopédie de pratiques et de doctrines diverses kabbalistiques sous une forme de narration fictive peintes sur un fond de Palestine antique.
    Le point commun de toutes ses pratiques et ses doctrines théologiques kabbalistiques est l’éloignement avec la pensée philosophique grecque qui avait influencée toute la pensée juive auparavant.

    III. Luria et le retour de l’Arbre de Vie

    Après l’expulsion des juifs d’Espagne, une partie de la population s’installe dans l’empire Ottoman bienveillant, lequel comprend la Palestine.
    En Palestine, au XV° siècle, un certain Isaac Luria réforme totalement la kabbale et le judaïsme. C’est un jeune kabbaliste illuminé à l’imagination fertile, extrêmement charismatique qui devient très vite le héros messianique d’une société déracinée. Il réinvente littéralement la Kabbale et tout un tas de concepts plus ou moins fondés, et créé une nouvelle mythologie, une nouvelle kabbale. Sa kabbale est fondée sur une représentation de l’Arbre de Vie dont on trouve les fondements dans la Genèse (II° chapitre) qui comprend également les 10 séphiroth qui sont citées dans les Chroniques (XXIX. 11) et décrites dans le Sepher Yetzirah, et discutées ici ou là dans les textes de la kabbale espagnole. Le diagramme de l’Arbre de Vie avec ses 10 séphiroth tel qu’on le connait tous depuis qu’il a été popularisé par la Golden Dawn et Aleister Crowley est une création de l’époque d’Isaac Luria.
    Luria meurt à 38 ans en 1572. Ce sont ses disciples qui publieront les éléments de la kabbale lurianique et dans la foulée, le rituel juif moderne (qui est donc très kabbalistique). Cette kabbale formera l’essentiel de la kabbale développée jusqu’à la fin du XX° siècle où l’on commence seulement à remettre en question les fondements de sa pensée.

    La kabbale chrétienne est toute entière basée sur la kabbale lurianique.

    IV. La Kabbale chrétienne

    À la renaissance et à partir de l’ère lurianique, le monde s’agrandit (découverte de l’Amérique, de l’imprimerie), il change, et le judaïsme  doit répondre à l’évolution générale et à la demande de normalisation religieuse de ses voisins les plus proches : chrétiens et musulmans. Le judaïsme fait un effort de standardisation dogmatique et devient, un peu, une religion monothéiste - avec quelques réserves - et accepte tacitement le concept de foi, sans toutefois s’y soumettre formellement.

    Comment le judaïsme peut-il être une religion pas vraiment monothéiste, et pas vraiment basée sur le concept de foi ?
    Dans ce contexte, le judaïsme est une religion composée de rites dont le but est d’assurer une cohésion sociale. Les membres de la communauté partagent un ensemble de pratiques et vivent dans un univers commun. La question du monothéisme ne se pose pas puisqu’il est interdit aux juifs d’adorer d’autres dieux que YHVH (« Tu n’adoreras pas d’autres dieux que YHVH » (Ex. XX. 3.). Il est clair que d’autres dieux et d’autres cultes existent, mais on ne doit simplement pas les pratiquer. Ce statut quo sur l’exclusivité du culte permet une certaine entente avec ses voisins tout en gardant une cohésion dans le groupe lui-même. La question de la foi elle-même est plus profonde encore puisque c’est un concept chrétien qui n’apparait pas dans la Torah elle-même. C’est une question tout simplement étrangère au monde juif… En fait, le culte sert de lien social, et éventuellement d’instruction aux candidats à l’éveil mystique. La question de la foi n’était pas abordée dans le cas de la conversion au judaïsme jusqu’à une époque très récente.

    Quoiqu’il en soit, le judaïsme signera les accords internationaux concernant les questions du monothéisme et de foi et la kabbale pourra alors devenir christiano-compatible.
    Voyons cela…

    Dans le cadre de la Renaissance, il y a un renouveau des connaissances anciennes (entendez, antérieures à la civilisation arabe dont l’influence reste dominante en occident). La kabbale lurianique passe pour être l’un de ces savoirs antiques et se développe dans le monde chrétien qui s’en enrichit.
    Il s’agit d’une kabbale essentiellement théosophique, autrement dit d’une kabbale spéculative et non d’une kabbale extatique comme la pratiquait Abraham Aboulafia, ou d’une kabbale magique comme les orientaux pouvait l’extraire du Sepher Yetzirah ou d’autres livres.

    V. Le retour d’Hermès

    La Renaissance fera naitre également le concept d’hermétisme. Il s’agit d’un cursus, un ensemble de connaissances complémentaires qui englobe l’Alchimie (nature, santé…), l’Astrologie (cycles, nombres), et la kabbale (théosophie). L’hermétisme viendrait d’Hermès, auteur antique fabuleux de la Table d’Émeraude, texte fondateur emblématique de l’Alchimie « hermétique ».

    VI. Les Roses+Croix rappliquent

    Un petit groupe de réformistes religieux et humanistes allemands inspirés de Paracelse et passionnés d’hermétisme vont s’approprier la kabbale. Un certain Christian Knorr Von Rosenreuth va publier un livre influent qui fera autorité sur le sujet : Kabbalah Denudata (1684). Le livre reprend des éléments du Zohar avec une bonne influence de la kabbale lurianique.
    Cette kabbale va émigrer en Angleterre avec la Rose+Croix pour s’épanouir à la fin du XIX° siècle avec l’Ordre Hermétique de l’Aube Dorée - The Hermetic Order of the Golden Dawn - (fondé en 1888 par Samuel Lidells McGregors Mathers et William Winn Wescott). Le matériel kabbalistique de l’Ordre sera offert au public par son élève le plus brillant : Aleister Crowley dans la revue The Equinox (in The Temple of Salomon the King ca. 1900).
    La kabbale du XX° siècle avec son Arbre de Vie et ses systèmes de correspondances sont nés et s’intègrera largement dans le cadre new-âge du syncrétisme universel.
    Ce système d’initiation par la kabbale rosicrucienne sera introduit en France par Les Philosophes de la Nature (LPN) depuis 1979.

    VII. Conclusion

    Depuis les travaux de Gershom Sholem et de Moshé Idel dans la seconde partie du XX° siècle, il y a un regain de la kabbale pré-lurianique.

    Le kabbaliste contemporain George Lahy distingue 3 types de Kabbales : la kabbale spéculative, qui consiste à discuter le contenu des textes à l’aide de la théosophie et à l’aide de procédés de lectures (codes, numérologie &c…), la kabbale contemplative qui consiste en des pratiques mystiques dans le but d’atteindre l’extase ou l’éveil (type kabbale d’Aboulafia), enfin, la kabbale magique qui peut être associée à des manipulations de l’énergie naturelle ou cosmique, ou à des pratiques associées à la sorcellerie, souvent proches de la magie naturelle.
    Cette triple division est une bonne façon de distinguer les différents buts que les kabbalistes modernes recherchent.
    Si pendant longtemps, c’est la première catégorie qui a prédominé, la seconde devient maintenant un centre d’intérêt croissant. La troisième est encore négligée mais on peut penser que les hermétistes vont bientôt révéler son intérêt, peut-être dans le cadre de leur travaux alchimiques, à moins que ce ne soient les chamans modernes, ou les techniciens des énergies libres &c… qui pourraient bien s’y retrouver.

    Nous verrons en détails certaines de ces pratiques dans des articles dédiés.

    Nous verrons des exemples de théosophie et de pratiques kabbalistiques pré-lurianique, de kabbale lurianique, ou de kabbale hermétique.
    Ce sont toutes des pratiques très intéressantes, mais que l’on ne peut pas toujours associer parce qu’un ascète de l’antiquité assis en tailleur sur son tapis à l’ombre d’un arbre d’un désert d’Orient n’a pas forcément beaucoup en commun avec un occultiste rosicrucien anglais du XIX° siècle. De même qu’Ezéchiel reste assez éloigné de Paracelse, et Paracelse de Fulcanelli…
    Mais  pas d’inquiétude, ça restera toujours simple comme un « jeu d’enfant » !


    Matthieu Frécon, 29 novembre 2020.

  • Kabbale 1. : Dieu

    Kabbale I.

    I. Dieu Bereshit enluminure 2
    À l’origine de la Kabbale, il y a le judaïsme et la Torah. À l’origine du judaïsme, il y a la Torah. À l’origine de la Torah, il y a Dieu.
    Qu’est-ce que Dieu ? Dieu existe t-il ?
    Le créateur de l’existence de Dieu n’est pas dans la Torah : c’est Aristote. Pour Aristote, Dieu existe, il est Un, et il n’a pas de corps. Le Chéma Israël (Deut. VI. 4) reprend effectivement les deux premières propositions (« Ecoute Israël, YHVH notre Dieu, YHVH est Un »), mais ni moi ni la Torah ne craignons la contradiction et je préfère vous entrainer sur un autre terrain qui apparait plus prometteur dans ses conclusions.

    II. Au commencement
    Au commencement de la Torah, il y a « Bereshit » le récit de la création.
    C’est ici qu’il est tout d’abord question de Dieu. Un Dieu nommé Elohim (racine EL - Aleph - Lamed, au masculin pluriel - IM). Ce Dieu est créateur du ciel et de la terre et tout ce qui s’ensuit. (à ce propos, ici, l’homme est créé par Dieu qui en fait un être fini et non infini comme l’envisageait Aristote). Ce Dieu est unique, et sans forme, mais existe t-il ? Sa racine EL, ou AL, est composé de la première lettre, Aleph, qui est placée avant Bet, initiale du récit de la création de la Torah. Aleph semble donc pré-exister, et non pas appartenir au domaine de l’existence qui lui-même n’est pas encore (et apparaitra avec la seconde lettre : Bet)… Lamed qui suit, représente l’expansion dans le symbolisme kabbalistique. Son rôle ici semble être de permettre l’extension de cette énergie créatrice primordiale portée par Aleph.
    AL est donc l’énergie primordiale qui est à l’origine de la création, situé au-delà de l’existence. AL n’est pas encore. Elohim est donc le créateur par excellence, qui est à l’origine de la création, qui n’est pas lui-même du domaine de l’existence qui n’apparaitra qu’avec la création de l’existence.
    À ce stade, on peut dire que Dieu n’existe pas.
    Dieu, comme on peut le lire au cours de ce récit de la création (Gen. I. 1 à II. 3) semble ne faire que passer : il apparait pour créer, six jours. Le septième, il contemple satisfait son travail et, sans rien dire à personne ni demander quoique ce soit pour son travail, se repose. Le sujet est clôt.
    Une étude kabbalistique approfondie du texte pourrait nous apporter nombre de pistes de réflexions et de pratiques mais ce n’est pas l’objet maintenant et nous passerons directement à la suite du texte.

    III La vie
    Le texte qui suit (Gen. II. 4 à III. 24) décrit les conditions de vie dans le Jardin Délicieux (Gan Eden). C’est l’histoire d’Adam et Eve, du Serpent qui parle, du fruit défendu et de l’expulsion de nos aïeux hors du jardin par YHVH (Yahvé).
    On sait que ce texte n’a pas de rapports biblio-historiques avec le premier et qu’il utilise des éléments de la légende sumérienne de Enki et Inki (Enki restera connu dans la bible sous le nom de Marduk, c’est Mardochée, l’oncle d’Esther/Ishtar, qui est l'héroïne du livre biblique qui porte son nom). Dans ce second texte parfois curieusement appelé « second récit de la création » il n’est plus question de Elohim, Dieu créateur du ciel et de la terre, mais de YHVH Elohim, qui sera simplement nommé YHVH, l’Éternel, dans les textes suivants.
    YHVH, nom imprononçable ou plutôt, que l’on ne doit pas prononcer en vain (Ex. XX. 7), est assez correctement traduit par « Éternel ». Je ne sais pas s’il est vraiment éternel, mais je sais que l’on trouve le verbe « être » à la racine de son nom, ce qu’il rappellera à Moïse lors de leur première rencontre dans le désert. À cette occasion, YHVH se présente comme AHYH Asher AHYH, qui est traduit par « Je suis (celui qui) est » (Ex. III. 14). YHVH représente donc l’existence dans son intégralité. Contrairement à Elohim, YHVH existe bien, lui.
    Et nous nous trouvons en présence (si seulement !) de deux entités couramment associées qui, si l’on suit notre raisonnement basée sur l’étymologie de leurs noms, désignent des concepts totalement différents. En effet, Elohim est clairement le Dieu créateur de l’existence, et YHVH est cette existence. Le premier n’existe pas, le second incarne l’existence.
    Le premier est du genre tranquille qui ne semble pas avoir de but ou de mission, il créé presque par accident. En fait, sa nature (si j’ose parler de nature à son propos) se limite peut-être à cet acte simple dénué de toute ambition, jamais encombré de questions morales ou de besoin de donner un sens à sa création. C’est un pur créateur désintéressé. D’ailleurs, on pourrait bien ne plus jamais entendre parler de Elohim après ce récit inaugural de la création. Si on le retrouvera ici ou la dans le texte, c’est parce que la Bible est un patchwork de textes épars écrits par des auteurs d’époques, de lieux, et de qualités très diverses qui ont parfois bricolé avec les textes et les traditions pour nous laisser ce corpus passionnant mais quelque peu pétassé par endroits, et assez inégal dans le langage et dans la qualité…
    Le second en revanche est du genre à ne plus laisser personne tranquille : donner des ordres, faire des réprimandes, exiger, promettre ou reprendre sont ses principales occupations. Et c’est pourtant vers lui que se portent nos prières, c’est pour lui que nous gardons une discipline de vie, c’est lui qui occupe toutes nos pensées religieuses ou mystiques… C’est encore lui qui guidera Moïse et qui le rencontrera en face à face au Sinaï…
    À propos, quelle est la nature de cette fameuse rencontre ? Moïse rencontre l’Existence Elle-Même lors de sa retraite au Sinaï… Rencontre existentielle s’il en est, sans doute à mettre en relation avec le sentiment de fusion dans l’existence que fit Bouddha sous son figuier, à mettre en relation avec l’expérience d’éveil révélé à d’innombrables êtres souvent mystiques ou ascètes. Moïse, Être éveillé… Flatteur ou réducteur ? Ni l’un ni l’autre… Mais cette perspective est intéressante et encourageante car elle nous indique que l’élection de Moïse par « Dieu » n’est pas une expérience unique et réservée à l’Élu, un « Don de Dieu » pour reprendre une expression alchimique pleine de mystère. Non, cette expérience est une simple et merveilleuse expérience d’éveil à l’existence dans sa totalité, son unité. Le message de Moïse (la loi), est par contre coloré par la culture et le besoin de la société dans laquelle vivait le prophète, Bouddha aura la même qu’il exprimera différemment. Nous sommes redescendus dans le monde…

    IV. La fin
    Cette façon de distinguer les deux principaux protagonistes surhumains de la Torah entre Dieu, le créateur qui n’existe pas, et l’Existence qui règle la nôtre pour une suprême harmonie a plus d’un avantage.
    D’abord, elle nous permet de penser que nous pouvons faire l’expérience de Moïse, vous comme moi, comme d’autres qui l’ont déjà fait. La comparaison avec d’autres descriptions d’éveils nous permet d’avoir du recul et de mieux trouver notre chemin.
    Ensuite, elle permet de relire, voire de comprendre la Bible et la kabbale qui sont basées sur une confusion entre les deux noms. C’est une erreur qui vient de l’histoire de la composition de la bible, une erreur qui est à la base de la théorie de l’élection divine, de la théorie de l’après-vie &c…
    Cette distinction nous oblige à faire un peu de rangement, ce qui n’est pas facile… Dans la Kabbale par exemple, on trouve une théorie tardive qui nous explique que les terminaisons des noms des anges en EL évoquent la rigueur de Dieu, alors que les terminaisons en YH évoquent sa miséricorde. Non seulement entre les deux c’est plutôt Elohim le plus cool alors que YHVH est vraiment, disons… exigeant… mais surtout, on voit que l’on ne peut pas jouer à mettre l’une ou l’autre de ces terminaisons comme des attributs « divins », cela n’a plus de sens !
    Que faire lors de la pratique kabbalistique médiévale ou moderne qui utilise ce symbolisme ? Il faut simplement satisfaire à la tradition et au rituel. C’est un jeu de l’esprit. Mais il ne faut pas y croire, car « croire » est une notion absente dans le judaïsme et dans la kabbale (le philosophe Maïmonide a bien tenté d’introduire le concept de foi dans le judaïsme pour rapprocher celui-ci des autres religions monothéïsmes, mais sans trop de succès jusqu’au XX° siècle).

    Qui adorer ? Moïse et tout les prophètes adoraient YHVH, car la réalisation de l’existence, l’éveil à l’existence dans sa globalité est la suprême réalisation. À quoi sert Dieu ? Et bien si l’on en juge par son comportement assez simple (dans le récit de la création), il sert à nous donner l’existence, la vie, mais que peut-on en faire ?
    Il y a des textes de Kabbale pratique comme le Sepher Yetzirah qui nous propose des pistes de de travail sur l’énergie créatrice (Aleph) et les forces de l’univers. Mais c’est un autre sujet que je traiterai plus tard car pour l’heure, la leçon que je retiens du récit de Elohim, c’est la notion de Shabbat, le repos, concept fondamental que je vais imiter maintenant.

    Merci de m’avoir lu ! À bientôt !

    Matthieu Frécon Sarreyer, 27 novembre 2020.